Entretien - Fondateur du groupe Akoussa : «Enfin, nous avons une parfumerie au Sénégal »

Pape Diop, fondateur du groupe Akoussa, est sur la pente ascendante avec ses florissants commerces de parfums et cosmétiques de grand luxe ainsi que ses diplomatic shops et ses activités de shipchandler.

Votre siège social se trouve à Lucerne, en Suisse, et vous avez vos activités à Dakar. Quand avez-vous débuté et pourquoi avoir choisi d’appeler votre groupe Akoussa?


Pape Diop : Akoussa est un nom africain originaire du Ghana qui désigne un gant de toilette fabriqué avec les fibres de fruit du baobab.

C’est donc un produit végétal, écologique et local puisqu’il vient de l’arbre emblématique de l’Afrique. Imprégné de vétiver, il vous fait une peau incroyablement propre, douce et parfumée.

Pour répondre à votre première question, j’ai commencé la parfumerie en 2011 au Sénégal.

Nous avons alors cherché un nom qui représente vraiment le pays et nous avons choisi Akoussa, que beaucoup de gens trouvent joli.

Enfin, si notre siège social est en Suisse, c’est pour faciliter et accélérer les paiements aux fournisseurs. 

 

Comment définiriez-vous votre cœur de métier ?


Notre cœur de métier, c’est la vente au détail de parfums et de produits cosmétiques. Nous avons également le diplomatic shop au Sénégal, c’est-à-dire le duty free dans l’ancien magasin tenu par un Français depuis 1970 et que nous avons repris. Le ministère et Affaires étrangères et la Douane, qui cherchaient un repreneur fiable, nous ont demandé d’en faire un lieu chic et attirant. Sachant que le siège des Nations unies est en train de déménager d’Éthiopie pour s’installer au Sénégal, à Diamniadio, avec près de 3 000 salariés, il s’agit d’une affaire porteuse. Le Sénégal, stable, est le pays d’Afrique où il y a le plus de diplomates. Tous les fournisseurs veulent donc travailler avec nous et attendent cette opportunité avec impatience.

 

Les grandes parfumeries africaines sont encore rares, non ?

 

Oui, mais le Sénégal est en train de privilégier les nationaux, alors que ce domaine était aux mains d’étrangers jusqu’à présent. Certes, ils faisaient entrer des devises, mais ils n’avaient pas d’action sociale, alors que nous en avons une, par exemple, auprès des enfants malades auxquels nous distribuons des petits-déjeuners, mais nous ne communiquons pas à tout-va sur nos actions pour nous faire de la publicité. Ne dit-on pas que «Le bien n’a pas besoin d’oreilles»? D’ailleurs, c’est une tradition familiale car mon papa, qui était musulman, a aidé tout le monde, y compris les chrétiens. Les autorités sénégalaises comme la Douane, qui attribuent les marchés en duty free, sont sensibles à cette démarche sociale et, à compétences  égales, préfèrent les octroyer aux Sénégalais.

 

Où est situé votre magasin au Sénégal ?


Nous avons une parfumerie installée au Point E, qui signifie «le point européen». Le choix de l’emplacement m’a semblé idéal parce que c’est un lieu très  fréquenté, un quartier d’affaires près duquel résident des personnalités comme l’ancien président Abdoulaye Wade ainsi que tous les hauts cadres qui ont  travaillé pour les institutions internationales. Quand ces personnes se baladent et voient une parfumerie avec un look français, elles se disent: «Enfin, nous avons une parfumerie au Sénégal.» Cette boutique à deux niveaux s’étend sur 400m 2, et en 2024, nous allons en ouvrir une autre de 180 m2 dans un nouveau centre commercial près du centre-ville de Dakar, ainsi qu’une troisième de 200m2 à Saly, dans un centre commercial également. C’est un lieu prometteur car un village diplomatique va être construit à proximité, et le personnel des Nations unies est appelé à y résider. Nous sommes aussi en négociation pour ouvrir une boutique dans le siège même des Nations Unies afin que les employés puissent mettre à profit leur temps de pause pour y faire leurs emplettes.

 

À combien se chiffre votre investissement pour ces différents points de vente ?

 

À ce jour, nous en sommes à 1,4 million d’euros, les marchandises représentant 600 000 euros, ce qui est considérable. Mais l’idée d’Akoussa est de réellement promouvoir la parfumerie en Afrique, sous- approvisionnée jusqu’à présent alors que les Africains sont d’excellents clients. Une étude de marché que j’ai diligentée en France indique qu’ils achètent en abondance chez Sephora ou Marionnaud, et qu’une forte proportion d’entre eux fournit sa famille et ses amis en Afrique. On peut considérer que 80% des Sénégalais achètent leurs parfums en France, et ils sont prêts à y mettre le prix: nous vendons à ce jour plus de parfums chers que de parfums bon marché. Nous en sommes à environ 300000 euros de fournitures tous les deux mois. Certaines personnes ici achètent pour 500 euros de parfum par mois, et même jusqu’à 1000 euros par mois pour les parfums de niche, surtout afin de
les offrir sous forme de coffrets, ce qui devient une coutume au Sénégal. Et nous agrémentons ces coffrets de petits cadeaux personnalisés de la part d’Akoussa. En Afrique, le parfum est quelque chose de luxueux qui montre la valeur accordée à la personne à qui on l’offre. Ce que l’on nomme «parfum de niche» est plus cher qu’un autre parfum – environ 300 euros – car il est fabriqué en quantités limitées avec des essences de qualité supérieure. Il touche une clientèle qui recherche le produit rare, unique.

 

Quel pourcentage représente le parfum de niche dans votre chiffre d’affaires ?


En pourcentage de nos ventes, il représente 65%. Marly, Initio, Xerjoff, Casamorati ou Clive Christian,qui sont des marques de niche, pourraient supplanter des marques premium. En tout, nous avons plus de 75 marques, et nous sommes numéro un en Afrique de l’Ouest pour les parfums de niche, avec quasiment toutes les grandes marques.

Au Sénégal, nous avons la chance d’avoir un marché ouvert sur le monde, car il y a des Européens qui aiment les fragrances européennes et les Africains qui aiment les parfums rares et très luxueux aux notes plus orientales. Il y a beaucoup de milliardaires à Dakar.
Nous vendons le parfum le plus cher du monde, Clide Christian, qui coûte 600 euros et que nos clients achètent surtout pour l’offrir. Nous avons d’ailleurs un service dédié qui livre le parfum accompagné d’un bouquet de fleurs offert par la maison.

 

Avez-vous d’autres activités en duty free ?


Désormais, nous sommes les seuls sur le créneau du duty free, et nous sommes aussi shipchandler. Nous vendons des fournitures pour tous les bateaux qui arrivent au Sénégal: pièces détachées, peinture, nourriture, carburants, accessoires divers, etc. La capitainerie nous prévient de chaque arrivée de bateau et des besoins en ravitaillement. Ce sont de très grosses opérations commerciales: imaginez un bateau de croisière avec 3 000 passagers, c’est considérable. Pour exercer ce métier, il faut une licence, que le groupe Akoussa possède. Nous avons aussi la licence pour la fourniture des ambassades, qui nous communiquent trimestriellement leurs besoins. Je m’occupe alors des achats en relation avec la Douane, qui m’accorde un droit d’importation pour le montant nécessaire, puis je stocke les containers reçus dans mes entrepôts. L’ensemble de ces activités de vente de produits hors taxe – cigarettes, spiritueux, nourriture, parfums, produits d’hygiène, etc. – représente 60% de notre chiffre d’affaires.

 

Quelles sont vos perspectives pour 2024 ?


Le ministère des Affaires étrangères nous a demandé de faire un magasin duty free de 500 m 2 encore plus luxueux près de la résidence des ambassadeurs dans le quartier Fann. Si l’on nous a accordé le duty free, ce n’est pas pour des magasins de 100m 2, il faut être plus ambitieux.

Le Sénégal vise plus haut. Et comme je vous le disais, nous souhaitons aussi ouvrir en 2024 un magasin dans l’édifice même des Nations unies à Diamniadio. Nous allons également fournir la boutique de l’ambassade des États-Unis aux Almadies, et finaliser notre projet au centre-ville. Mais à plus long terme, mon objectif est de créer une vingtaine de magasins en Afrique dans les pays qui n’ont pas accès à la parfumerie.

 

Propos recueillis par Andju Ani

 

BIO

Pape Diop, passionné de cheval, avait une vocation : devenir vétérinaire. S’il commence sa carrière comme exportateur de poisson frais vers la Suisse, la Grèce, l’Espagne et le Portugal, c’est bien comme importateur de chevaux qu’il la continue avant de créer « La boutique du cheval » à Dakar. La concurrence devenant féroce, il songe dès 2002 à se réorienter et à installer une chaîne de parfumerie en Afrique, projet auquel peu de gens croient.
Qu’à cela ne tienne, il ouvrira sa première parfumerie Akoussa en 2011 près de l’aéroport, mais devra la quitter car les fournisseurs ne souhaitent pas approvisionner un nouveau concurrent de leurs clients. Il part alors s’installer en Belgique mais se heurte au même problème de concurrence des grands groupes. Pourquoi ne pas créer un groupe en Afrique ?
De retour au Sénégal en 2018, il cherche donc un grand local dans un lieu prestigieux : ce sera le Point E. Certes, la mise de départ avoisine les 300 000 euros, mais il se lance. Ciscoprod lui donne accès aux parfums de niche Histoire de parfums, Jovoy, Jéroboam, Franck Boclet, MDCI et Atelier des Ors. En 2020, Ella Afrique, société basée à Monaco et au Zimbabwe qui distribue les marques Dolce Gabbana, Elie Saab et Chopard, lui fait confiance, et c’est le début de la belle aventure, même si durant 8 mois, il n’a que 3 étagères et... un loyer exorbitant ! Mais il persévère et en 2022 arrivent la société monégasque IOM avec Hermès, Kenzo, Givenchy, Narciso Rodriguez, Boucheron et Issey Miyake, puis Distrimarq, également monégasque, avec Cartier, Versace, Moschino, Caron et Lacoste, et enfin les marques de parfums de niche Marly et Initio représentées par Ciscoprod. En 2023, ce sera la société parisienne Selective Brands avec Van Cleef, Montblanc, Jimmy Choo, Sophie la Girafe et Coach. La même année, il intègrera pour le Diplomatic Shop Akoussa les marques distribuées par Beauté Luxe : L’Oréal, Lancôme, Yves Saint Laurent, Paco Rabanne, Jean Paul Gaulthier, Nina Ricci, Carolina Herrera, Armani, Ralph Lauren, Antonio Banderas. Un succès fulgurant qui prouve que dans la vie, il ne faut rien lâcher. La persévérance est le ticket gagnant qui a permis à celui qui n’avait même pas accès à la porte des salons de parfums de luxe de loger en 2021 à Cannes dans une suite de l’hôtel Hyatt mitoyenne de celle du grand parfumeur Francis Kurdjian...