Le ministre du Tourisme et de l’Artisanat Pascal Ogowe Siffon donne sa vision du tourisme durable, qui repose sur cinq piliers, dont la qualité de l’offre et l’hospitalité gabonaises. En matière d’artisanat, il annonce que d’ici à fin 2025 sera créé un label d’excellence au féminin.
Quelle est aujourd’hui votre vision du tourisme durable au Gabon, au-delà d’événements ponctuels comme la Caravane ?
Pascal Ogowe Siffon : La Caravane touristique du Gabon est certes un moment fort de notre agenda sectoriel, mais elle ne constitue qu’un jalon dans une vision plus large, plus profonde et durable du développement touristique national. Notre ambition ne se limite pas à l’organisation d’événements ponctuels. Elle s’inscrit dans une stratégie structurante visant à faire du tourisme un levier de transformation économique, sociale et environnementale à l’échelle nationale. Au-delà des animations territoriales, notre vision du tourisme durable repose sur cinq fondements majeurs. Premièrement, l’intégration dans les politiques publiques nationales. Le tourisme doit participer pleinement à la diversification de notre économie. Il est désormais articulé avec les politiques d’aménagement du territoire, de formation professionnelle, de décentralisation et de protection de l’environnement. L’approche est transversale et vise une croissance inclusive. Deuxièmement, la structuration d’un écosystème local et durable. Pour cela, nous nous engageons à renforcer les chaînes de valeur touristiques, à structurer les circuits, à encadrer les opérateurs et à soutenir l’entrepreneuriat local, notamment des jeunes, des femmes, des artisans et des communautés. Il ne peut y avoir de tourisme durable sans une base locale solide.
Troisièmement, la gouvernance participative et territoriale. La réussite du tourisme durable repose sur une coopération étroite entre l’État, les collectivités locales et les acteurs privés. À ce titre, nous sommes en train de transférer certaines compétences et moyens aux communes pour leur permettre d’assurer pleinement leur rôle dans la gestion et la valorisation du patrimoine touristique local. Le quatrième fondement majeur est la qualité de l’offre et l’hospitalité gabonaises. Nous plaçons la qualité au cœur de notre action : qualité de l’accueil, des hébergements, des prestations, mais aussi de la relation humaine. Cela suppose un investissement continu dans la formation, la certification et la professionnalisation des métiers du tourisme. Quant au cinquième fondement, il porte sur le rayonnement régional et international du Gabon. Notre ambition est de positionner le Gabon comme une destination africaine de référence, fondée sur l’authenticité, la durabilité, la nature préservée et la richesse culturelle. Cela passe par une promotion ciblée, une communication cohérente et la participation à des salons et foires internationales. La Caravane est donc un catalyseur, un révélateur du potentiel, mais notre cap reste clair : construire un tourisme gabonais durable, compétitif, enraciné dans les territoires et ouvert sur le monde. C’est cette vision que nous portons avec constance, au service du développement du pays et du mieux-être de ses populations.
Vous multipliez les partenariats avec les médias : que faut-il comprendre de cette stratégie de visibilité autour de la destination Gabon ?
La stratégie de visibilité autour de la destination Gabon n’est pas une campagne de communication ordinaire. Elle est le prolongement d’une vision plus vaste : repositionner notre pays dans le paysage touristique international tout en renforçant l’ancrage domestique de la culture du voyage, de la découverte et de l’hospitalité. Il s’agit d’abord de donner une identité forte, cohérente et lisible au Gabon en tant que destination touristique. Nous ne vendons pas seulement des paysages ou des parcs nationaux, nous valorisons une promesse, celle d’une expérience authentique, durable et profondément humaine. Notre stratégie repose sur trois axes majeurs. Le premier est la création d’une image unifiée du pays à travers une marque nationale forte. Nous avons défini une signature claire pour la destination Voyage au cœur de la Nature. Elle incarne la richesse de nos écosystèmes, la diversité de nos cultures, la profondeur de nos traditions et l’accueil chaleureux de nos populations. Cette image est véhiculée avec cohérence et fierté par tous les supports : salons internationaux, contenus numériques, partenariats médias, campagnes d’influence… Le deuxième axe porte sur la valorisation des territoires et des savoir-faire locaux. Nous ne faisons pas la promotion d’un seul point d’attractivité, mais d’un réseau de sites et d’acteurs à travers le pays. Chaque province, chaque communauté, chaque artisan, chaque guide, chaque porteur de projet participe à construire cette image. C’est une stratégie de visibilité inclusive : elle met en lumière des visages, des histoires, des lieux vivants et habités. Le troisième axe consiste à articuler la promotion extérieure et intérieure. Il ne s’agit pas uniquement de séduire les marchés internationaux : nous voulons aussi réconcilier les Gabonais avec leur propre patrimoine. La stratégie vise à développer un tourisme domestique fort, où chaque citoyen est à la fois ambassadeur et bénéficiaire de l’attractivité de son pays. C’est aussi une manière de renforcer l’unité nationale par la découverte de soi à travers les autres.
En résumé, cette stratégie de visibilité n’est pas une vitrine artificielle. C’est un outil de transformation économique et culturelle. Elle sert à attirer les visiteurs, oui, mais aussi à éveiller la fierté, stimuler l’investissement local et construire une nouvelle dynamique autour d’un tourisme gabonais de qualité, durable et respectueux. Notons pour finir que nos partenariats médias visent à revaloriser l’image du Gabon, à promouvoir de manière régulière les destinations locales et à toucher un public national. Nous avons deux objectifs : redonner de la fierté identitaire aux Gabonais et attirer les visiteurs étrangers en montrant un pays proche, accueillant et professionnel.
« Nous prévoyons des circuits transfrontaliers. »
Comment faire en sorte que les retombées du tourisme profitent aux communautés locales, notamment dans les zones rurales ?
La question de l’inclusivité est au cœur de notre stratégie touristique. Il ne suffit pas d’attirer des visiteurs ou de développer des infrastructures, il faut s’assurer que le tourisme bénéficie concrètement aux Gabonais, et en particulier à ceux qui vivent à proximité des sites touristiques. Cela suppose une approche résolument territoriale, équitable et participative. Il s’agit de renforcer l’implication des communautés dans la chaîne de valeur touristique. Les communautés locales ne doivent pas être de simples spectatrices du tourisme, mais des actrices centrales. Nous encourageons donc la création de coopératives communautaires, d’entreprises locales de guides, de maisons d’hôtes familiales et de points de vente artisanaux gérés localement. Les circuits développés dans le cadre de la Caravane ou de projets d’écotourisme intègrent systématiquement des prestations issues des villages, des regroupements de femmes, des jeunes, afin de garantir un recyclage économique local des revenus générés. Un des axes de réflexion que nous avons est de mettre en place des mécanismes de redistribution équitables. Pour cela, les projets touristiques implantés dans les territoires doivent prévoir des mécanismes de réinvestissement local : impôts locaux, redevances communautaires, emplois directs. Des conventions de gestion partagée sont en cours de développement avec les autorités locales et les parcs nationaux afin de garantir que les bénéfices économiques soient proportionnellement reversés aux habitants concernés.
Il faut aussi développer les compétences locales pour un tourisme durable. Donc, nous investissons massivement dans la formation des jeunes ruraux, des artisans, des restaurateurs, des guides, avec une offre adaptée aux réalités des territoires. Notre objectif est de professionnaliser les savoir-faire locaux et de créer de l’emploi durable dans les villages, sans provoquer l’exode vers les grandes villes. La reconnaissance des métiers traditionnels liés à la culture – danse, sculpture, conte, cuisine locale – dans la chaîne touristique est également en cours pour permettre une valorisation économique des identités régionales. De plus, nous essayons d’instaurer une gouvernance locale du tourisme. Il s’agit de transférer certaines compétences et moyens aux collectivités locales pour qu’elles puissent piloter elles-mêmes leurs projets touristiques. Cela signifie donner aux communes les outils techniques, juridiques et financiers pour organiser, promouvoir et encadrer l’activité touristique sur leur territoire. Cette approche vise à faire du tourisme un pilier du développement local, maîtrisé et porté par les communautés elles-mêmes. Pour finir, faire en sorte que les retombées du tourisme profitent aux communautés locales est un impératif de justice sociale mais aussi de durabilité. Un tourisme qui exclut ou déplace n’est pas un tourisme viable. Un tourisme qui enrichit les territoires, qui respecte les cultures et qui donne du pouvoir économique aux populations locales, c’est cela, le modèle gabonais que nous construisons.
« Nous voulons attirer les visiteurs étrangers en montrant un pays proche, accueillant et professionnel. »
Vous parliez de dispositifs de formation…
Le développement d’un tourisme durable et inclusif au Gabon ne peut se faire sans investissement dans le capital humain, notamment celui des jeunes artisans, des guides touristiques et des opérateurs de terrain. C’est une priorité du ministère, et nous avons engagé une série de dispositifs pour garantir un accès équitable à la formation, y compris en dehors de Libreville. Les jeunes qui maîtrisent déjà des compétences traditionnelles (narration, danse, cuisine locale, artisanat) peuvent entrer dans un parcours de reconnaissance professionnelle : des outils de labellisation régionale sont en cours de mise en place pour permettre à ces savoir-faire d’être identifiés, promus et valorisés économiquement dans le circuit touristique. Nous voulons que chaque jeune Gabonais, quel que soit son lieu de résidence, puisse avoir accès à une formation de qualité et trouver sa place dans l’économie touristique locale. Le talent est déjà là. Notre devoir est de l’encadrer, de le faire grandir et de l’accompagner vers une autonomie professionnelle durable. Des centres de formation régionaux itinérants seront mis en place dès la rentrée 2026, en collaboration avec les écoles hôtelières et les chambres d’artisanat. Nous visons une centaine de jeunes formés d’ici début 2028.
Les femmes sont de plus en plus visibles dans l’artisanat. Une politique spécifique est-elle en cours pour mieux structurer ce vivier ?
Une politique nationale d’appui à l’entrepreneuriat féminin est en cours de réflexion, avec des ateliers spécifiques : business, certification, labellisation. D’ici à fin 2025, un label artisanat d’excellence au féminin visera à reconnaître et valoriser les initiatives et réseaux féminins.
Quels liens souhaitez-vous renforcer avec les pays frontaliers, notamment pour développer le tourisme sous-régional Gabon-Congo-Cameroun ?
Nous prévoyons des circuits transfrontaliers en partenariat avec les agences de tourisme des voisins pour développer un tourisme régional croisé permettant aux visiteurs de découvrir les richesses des frontières gabono-congolaises et gabono-camerounaises sur des formules de type « road-trip en Afrique centrale ».
Après le succès de la première édition de la Caravane Touristique en septembre 2024, comment se déroule la deuxième édition lancée le 15 juillet 2025 ? Quelles innovations sont au rendez-vous ?
La deuxième édition de la Caravane Touristique du Gabon s’apprête à sillonner le territoire national du 15 juillet au 15 septembre 2025 dans un format élargi, structurant et résolument tourné vers l’avenir. Forte du succès de la première édition, cette nouvelle caravane ambitionne non seulement de renforcer la visibilité du Gabon en tant que destination authentique et durable, mais aussi de faire du tourisme un moteur concret de développement territorial, de cohésion sociale et de transformation économique.
Cette année, les visiteurs peuvent bénéficier d’un visa gratuit délivré sous 48 heures via la plate-forme e‑Visa jusqu’au 30 septembre 2025. Cette mesure vise à faciliter l’accès au territoire tout en renforçant l’attractivité du pays. Une unité spécialisée formée à l’accueil, à la médiation et à la sécurité touristique accompagne les circuits afin de garantir aux visiteurs un cadre rassurant et professionnel. Cinq grandes zones touristiques sont concernées : Estuaire, Sud-Ouest, Haut-Ogooué, Ogooué-Maritime et Woleu-Ntem. Plus de 15 circuits immersifs sont proposés, intégrant des sites emblématiques, des villages culturels et des espaces naturels.
La Caravane lance un processus de reconnaissance officielle des sites touristiques, hébergements, guides et artisans répondant aux critères de durabilité, de qualité d’accueil et d’impact local. Une démarche partenariale a été engagée avec les entreprises, les institutions financières, les collectivités locales et les opérateurs touristiques. Plusieurs formules de sponsoring et de participation directe ont été présentées lors d’une réunion préparatoire tenue à Libreville le 26 juin 2025.
La Caravane 2025 s’inscrit donc dans la volonté gouvernementale de faire du tourisme un levier de diversification économique et de rayonnement culturel. Elle s’appuie sur une stratégie inclusive qui place les communautés locales, les jeunes, les artisans et les entrepreneurs au centre de l’expérience touristique. Plus qu’un événement, la Caravane devient un instrument de politique publique destiné à révéler les richesses territoriales, à stimuler l’entrepreneuriat, à renforcer la fierté nationale et à attirer de nouveaux flux touristiques dans un cadre durable.
« La Police touristique a été créée pour sécuriser notre tourisme, crédibiliser nos services et rassurer les investisseurs. »
Pouvez-vous revenir sur la genèse de la création de la Police touristique, notamment la décision du Conseil des ministres du 30 mai 2025 ?
Le conseil des ministres du 30 mai 2025 a validé la création de la Police touristique pour sécuriser notre tourisme, crédibiliser nos services et rassurer les investisseurs. Cette institution est paramilitaire, formée et assignée spécifiquement aux sites touristiques. La création de la Police touristique est une réponse à la fois pratique et stratégique : elle incarne notre volonté de faire du tourisme une priorité nationale, sécurisée, encadrée et respectueuse de l’expérience du visiteur. Elle contribuera, j’en suis convaincu, à faire du Gabon une destination compétitive, responsable et accueillante.
Une mission au Sénégal et au Maroc du 19 au 24 juin visait à s’inspirer des bonnes pratiques. Quels enseignements concrets avez-vous recueillis ?
Nous avons relevé deux enseignements majeurs : la dimension juridique – les policiers touristiques sont reconnus comme officiers publics et disposent d’un cadre clair –, et la formation spécialisée axée sur l’accueil, la médiation culturelle et la protection des espaces naturels. Ces acquis structureront notre module national, que nous adapterons au Gabon dès octobre 2025.
Propos recueillis par Serge-Henri Malet