Entretien - Country Managing Partner, EY Côte d'Ivoire « Le renforcement de l’activité pétrolière augure de belles perspectives économiques »

Éric N’Guessan , Country Managing Partner chez EY Côte d’Ivoire, évoque les facteurs de performance économique du pays ainsi que le rôle majeur que joue la fiscalité dans la réalisation des objectifs ambitieux du PND 2025.

Selon le FMI, la Côte d'Ivoire devrait connaître en 2023 un taux de croissance de plus de 7 %, l’un des plus élevés du continent. Quels facteurs expliquent cette performance ? Cette vision optimiste pourrait-elle être tempérée par des circonstances particulières ?

 

Éric N’Guessan : Parmi les facteurs de performance, citons tout d’abord le binôme historique café-cacao, qui représente à lui seul près de 40 % des exportations, d’où l’intérêt que lui accordent depuis plusieurs décennies les différents gouvernements qui se sont succédé à la tête du pays. Les autorités ivoiriennes ont en effet entrepris une série de réformes en vue d’un développement de la filière et, par ricochet, de l’amélioration des conditions de vie des producteurs de café-cacao. Ensuite, les industries extractives représentent un autre facteur de performance très prometteur eu égard à l’importante découverte de pétrole et de gaz faite en 2021 dans le fameux gisement Baleine, qui entrera en production dès 2023 et qui augmenterait les estimations des volumes d’hydrocarbures à environ 2,5 milliards de barils de pétrole et 3 300 milliards de pieds cubes de gaz associé, soit une hausse d’environ 25 %. Le renforcement de l’activité pétrolière augure donc de belles perspectives pour notre pays en termes de ressources et d’emplois directs et indirects au titre de l’année 2023.

Toutefois, ces perspectives de croissance pourraient être mitigées par la guerre en Ukraine qui, selon la BAD, a fait basculer près de 15 millions d’Africains supplémentaires dans la pauvreté. Par ailleurs, les changements climatiques peuvent aussi affecter cette croissance en raison du fait que l’économie de la Côte d’Ivoire dépend principalement de secteurs sensibles au climat. En un mot, la relance économique post-Covid en Côte d’Ivoire s’est effectivement bien enclenchée et ne devrait pas connaître de ralentissement majeur malgré les prochaines échéances électorales et les éléments de pondération que je viens d’évoquer. 

 

« La relance économique post-Covid en Côte d’Ivoire ne devrait pas connaître de ralentissement majeur. »

La dernière mission du FMI à Abidjan a débouché sur l'approbation d'un troisième PEF (Programme économique et financier) dont le montant est évalué à 3,5 milliards de dollars. En quoi cette rallonge était-elle indispensable pour les finances de la Côte d'Ivoire, déjà lourdement endettée ? Va-t-elle apporter de la trésorerie pour financer les chantiers du PND 2021-2025 ? 

 

Après une riposte rapide et bien élaborée des pouvoirs publics ivoiriens à la pandémie de Covid-19, l’économie ivoirienne a connu un rebond en 2021, quelque peu contrarié toutefois en 2022, notamment par la guerre entre la Russie et l’Ukraine et le resserrement monétaire mondial. Dans ce contexte, les autorités ont mis en place un train de mesures temporaires afin de contenir les retombées de ces crises et de préserver la sécurité alimentaire. Il s’agit notamment du plafonnement des prix de plusieurs denrées alimentaires, des subventions à l’achat des produits pétroliers et de la mise en place d’un permis pour l’exportation de certains aliments de base. Toutes ces mesures qui, certes, ont minimisé l’impact des différentes crises économiques sur les populations ont, d’un autre côté, entraîné une aggravation du déséquilibre macroéconomique. 

Le PEF, qui vient rallonger la dette globale de la Côte d’Ivoire de 3,5 milliards, est indispensable dans le sens où il permettra de continuer à mobiliser des ressources additionnelles pour financer les dépenses prioritaires nécessaires à la stabilité du climat social ainsi que de continuer à investir dans les infrastructures et les services publics de première nécessité. En outre, ce programme vise à préserver la viabilité des finances publiques et de la dette, et à ancrer le Plan national de développement (PND) 2021-2025 dans des priorités structurelles clés afin de promouvoir une croissance plus inclusive menée par le secteur privé. En ce sens, une lecture stricte des priorités assignées au PEF permet effectivement de dire que celui-ci devrait apporter la trésorerie nécessaire au financement des chantiers du PND 2021-2025.

 

Quelles sont les innovations fiscales de la loi de finances 2023 sur un budget qui s'équilibre en ressources et en dépenses à 11 694,4 milliards de FCFA, soit une hausse globale de 17 % par rapport à 2022 et une hausse du poste investissements de 21 % ? 

 

Au-delà des mesures techniques et de rationalisation du dispositif fiscal que sont le soutien à l’économie et le renforcement de la mobilisation des ressources fiscales, l’annexe fiscale 2023 a été élaborée autour de deux axes principaux : d’une part la réduction d’impôt soumise à conditions et d’autre part, à l’inverse, le renforcement de la taxation dans certains secteurs. 

Pour soutenir l’investissement en Côte d’Ivoire, le législateur autorise une réduction d’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux en cas de réinvestissement des bénéfices en Côte d’Ivoire. Le montant plancher à réinvestir est de 25 000 000 FCFA. Concernant les mesures de renforcement de la mobilisation des recettes fiscales, on peut évoquer le rehaussement du taux des droits d’accises sur les produits du tabac à 41 %, ce qui portera ainsi à 48 % le taux global de taxation des produits de tabac en Côte d’Ivoire.

Au titre des mesures techniques, l’annexe fiscale a institué la date d’exigibilité de la TVA comme point de départ du délai de déduction de cette taxe. Antérieurement, la déduction de la TVA grevant les achats devait se faire dans un délai de douze mois à compter de la date de facturation. En second lieu, le tarif de la taxe aéroportuaire applicable aux embarquements à destination de l’étranger a été réduit à 1 000 FCFA (tarif unique). Par ailleurs, la législation des prix de transfert se formalise un peu plus par l’exigence faite aux entreprises de fournir une documentation des prix de transfert dénommée « Fichier principal » et « Fichier local ». Enfin, on peut citer la mesure instituant la digitalisation du contrôle fiscal. En effet, les procédures applicables aux échanges de documentation pendant le contrôle fiscal sont désormais obligatoirement traitées sous format digital, sous peine de sanctions.

 

Quelle est la valeur ajoutée obtenue dans ce budget à partir des extensions appliquées sur le Système intégré de gestion des opérations budgétaires de l'État (SIGOBE) ?

 

Le SIGOBE a permis la prise en compte du taux de chancellerie au niveau des Représentations nationales à l’extérieur (RNE) et l’élaboration du budget des Établissements publics nationaux (EPN) dans le système.

 

« Confier à EY la gestion des fonds Covid visait à en optimiser l’utilisation grâce à l’appui d’experts internationaux. »

 

Trois des quatre fonds d'urgence dévolus à la lutte contre le Covid-19, qui totalisent 520 milliards de FCFA, ont été affectés par la présidence ivoirienne à un trio de consultants, dont EY. En quoi cette démarche de la présidence ivoirienne était-elle appropriée pour éviter les scandales suscités dans la gestion de ces fonds dans d'autres pays ? 

 

La démarche de la présidence ivoirienne était très appropriée dans le sens où elle visait à optimiser l’utilisation de ces fonds grâce à l’appui d’experts internationaux. Il s’agissait donc, en s’appuyant sur nos compétences locales et notre réseau, de faire des propositions concrètes dans le but de favoriser l’efficacité dans la gestion opérationnelle des fonds, mais aussi et surtout d’optimiser le couple rendement/risque dans l’utilisation de ces fonds. Nous avons donc travaillé à définir les meilleures options stratégiques pour l’opérationnalisation des fonds, à rédiger, en concertation avec les faîtières locales, des projets de conventions entre les différents fonds et les contreparties, à proposer un dispositif pour le traitement en toute célérité des demandes et l’instruction rapide des dossiers des entreprises requérantes, et enfin à proposer un cadre de suivi-évaluation avec des indicateurs de performances pour évaluer la santé financière de ces entreprises requérantes.

 

Trois ans après cette pandémie qui a tout de même affecté l'économie ivoirienne, quel bilan, s'agissant de EY, pouvez-vous dresser sur la gestion des fonds Covid ?

 

Au 30 juin 2022, sur une population de 800 PME et 125 grandes entreprises éligibles, des enveloppes respectives d’environ 40 milliards de FCFA et 30 milliards de FCFA ont été effectivement décaissées, créant ainsi des conditions de relance économique et de maintien de l’emploi. Toutefois, le déploiement des fonds s’est heurté à la qualité de l’information financière communiquée par les postulants auxdits fonds, l’empêchant ainsi d’atteindre toute sa portée. Des pistes d’amélioration sont en discussion.

 

Propos recueillis par Andju Ani

Une fiscalité de développement à réinventer dans le cadre des réformes pour 2030 

 

Le gouvernement ivoirien a présenté depuis le 30 juin 2022 les réformes 2030. Le but recherché est le renforcement du partenariat entre l’État et le secteur privé, afin que la contribution du secteur privé à l’investissement atteigne 25 % du PIB et que la création des emplois projetés à l’horizon 2030 soit de plus de 90 %. 

Toutefois, le contexte mondial, marqué par les effets de la guerre en Ukraine et ceux non dissipés de la pandémie de Covid-19, a affecté négativement les perspectives économiques 2022–2023 en Côte d’Ivoire. Malgré cette conjoncture défavorable, l’objectif du gouvernement ivoirien est le maintien du rythme de croissance économique, projeté à plus de 7 %, conformément aux prévisions du PND 2021-2025. Un rythme de croissance cadré par les investissements et les réformes prévus, par le Plan stratégique Côte d’Ivoire 2030, par le PND 2021-2025 et par un environnement sociopolitique plus stable. 

Dans cette perspective, à travers diverses réformes entamées depuis 2017 et adoptées entre 2022 et 2023, le législateur fiscal a encouragé l’investissement en Côte d’Ivoire. En outre, afin d’accroître les ressources financières nécessaires à la réalisation de ses objectifs, l’État renforce la pression fiscale sur les contribuables et tente d’élargir l’assiette de plusieurs impôts et taxes.

 

A.A