« Le taux de croissance en Afrique devrait avoisiner les 4,2 % en 2025 »

Antonio David, chef de mission au FMI pour le Niger et chef de division adjoint au département Afrique, mesure l'impact des réformes lancées par les États pour stabiliser la dette et réduire l'inflation suite à la publication en octobre dernier du 2e volet des Perspectives économiques.

 

Les assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale ont été clôturées par la publication du rapport sur les perspectives économiques de l’Afrique subsaharienne le 25 octobre dernier. Depuis le précédent rapport d’avril 2024, quelles sont les principales améliorations observées dans les économies de la région?

 

Antonio David : Les perspectives pour l'Afrique subsaharienne s'améliorent graduellement. Nous estimons un taux de croissance de 3,6 % pour 2024, et nous constatons dans le rapport que les ajustements de politique économique commencent à porter leurs fruits. Par exemple, le niveau de l'inflation s'est réduit dans la plupart des pays de la région. Et en réalité, près de la moitié des pays d'Afrique subsaharienne présente déjà des taux d'inflation conformes aux cibles. Par conséquent, les efforts de resserrement de la politique monétaire ont fonctionné, et il en va de même pour la politique budgétaire. Nous observons qu'il y a des efforts d'ajustement budgétaire qui ont été réalisés par les dirigeants de la région. À peu près deux tiers des pays de la région ont effectué des consolidations budgétaires en 2023, représentant un montant de 1,3 % du PIB. Certains pays ont consenti des efforts bien plus élevés qu'il ne fallait en produire, et le résultat de tous ces engagements a finalement permis de stabiliser le degré d'endettement. Certes, à un niveau assez élevé de 58 % du PIB, mais au moins, la trajectoire n'est plus ascendante. L’autre développement positif à souligner est que certains pays, à l’instar du Cameroun en juillet dernier, ont gagné ou regagné l'accès au marché des eurobonds. Il est également prévu que le déficit du compte courant s'améliore en 2024 : il devrait retomber à un niveau de 4,3 % du PIB. 

Mais en même temps, des vulnérabilités persistent, bien qu'à des degrés divers selon les pays de la région. Comme vous le savez, l'Afrique subsaharienne est une région marquée par l'hétérogénéité, donc il y a des résultats assez différents entre les pays. Par exemple, concernant l'inflation, à peu près un tiers des pays présente encore une inflation à deux chiffres, comme par exemple l'Angola, le Nigeria ou même l'Éthiopie. Plusieurs pays ont aussi une faible capacité à assurer le service de la dette. En somme, on observe de bonnes améliorations, mais les vulnérabilités persistent.

 

Pour alléger le poids de cette dette, certains pays comme le Gabon ont recours à des mécanismes « dette-nature » par lesquels le pays s’engage à protéger son écosystème marin, ou à des mécanismes de conversion de sa dette auprès de la Chine, avec la vente d’un ou deux cargos de pétrole par an. Ces mécanismes de désendettement peuvent-ils conduire à la stabilité du système financier d’un pays ?

 

Certes, ce sont des outils intéressants, mais ils ne sont pas suffisants. Je pense qu'à la base, un niveau de dette viable se trouve dans une politique budgétaire prudente et ancrée sur une stratégie de moyen terme. Il est conseillé d'essayer d'avoir des cibles très précises sur les déficits budgétaires, qui permettront d'éviter des dérapages au niveau de la politique budgétaire pour bien assurer sa viabilité. C'est vrai que ce sont des outils innovants qui peuvent être utiles, mais ils doivent être intégrés dans un programme de mesures macroéconomiques qui passe certainement par une politique budgétaire prudente. 

 

Comment se présentent les perspectives économiques des pays africains en 2025 ? 

 

Pour 2025, on espère une accélération modeste du taux de croissance économique, qui devrait avoisiner les 4,2 %. Nous croyons que les efforts de consolidation budgétaire que l'on a vus en 2023 et 2024 vont se poursuivre l'année prochaine. Typiquement, les pays de la région devraient consolider leur compte budgétaire à la hauteur de 0,6 % du PIB en 2025. Et il y aura, nous le pensons, un équilibre entre les recettes et les dépenses en ce qui concerne cette consolidation budgétaire.

Des efforts vont être consentis pour augmenter les recettes et pour contenir ou réduire les dépenses. Ces deux efforts seraient à peu près équilibrés, sauf pour les pays riches en ressources naturelles, où l'ajustement se porterait surtout sur la réduction des dépenses. Du côté des recettes, nous voyons plusieurs pays qui essaient d’élargir l'assiette fiscale, de réduire les exonérations, d'améliorer l'administration fiscale et de promouvoir la digitalisation. C'est le cas du Cameroun, de Madagascar, du Sénégal et de la Tanzanie. Du côté des dépenses, il y a plusieurs pays qui essayent de préserver les dépenses sociales et de réduire les autres dépenses telles que les subventions. Et parmi ceux qui poursuivent cette stratégie, je citerai notamment l'Angola, le Bénin et le Rwanda. Quant à l'évolution de l'inflation pour l'année prochaine, nous croyons qu'elle va continuer sa trajectoire baissière. Elle va passer d'un niveau en moyenne pondéré de 18,1 % en 2024 à 12,3 % en 2025. On observera ainsi des réductions, notamment en Angola, au Nigeria et au Ghana. Il y aura également une amélioration du déficit du compte courant, qui va passer de 4,3 % du PIB à 3,7 %.

 

« Il n'y a pas de compétition entre la Banque de développement des BRICS et le FMI, les deux institutions sont complémentaires. »

 

L’attribution de ce 25e siège d’administrateur, réclamé depuis longtemps, au CA des institutions au Bretton Woods n’a-t-il pas été aussi motivé par la création de la nouvelle Banque de développement des BRICS, qui apparaît comme un « anti-FMI », attirant semble-t-il de plus en plus de pays en développement ?

 

Il n'y a pas, à mon sens, vraiment de lien direct entre cet effort pour renforcer la voix des pays africains au CA des institutions de Bretton Woods et la création de la Banque des BRICS. Je crois que le FMI et la Banque de développement des BRICS jouent plutôt des rôles complémentaires. Il n'y a pas vraiment de compétition entre les deux. Je me dois de rappeler que le FMI n'est pas une banque de développement. L'objectif du FMI est vraiment d'apporter un soutien aux pays qui ont besoin de financement au niveau de la balance des paiements. C'est une institution qui vise à renforcer la stabilité macroéconomique. Bien sûr, on veut aussi jeter les bases d'une croissance inclusive et durable, mais ses actions sont plutôt axées sur des problèmes de balance de paiements et de renforcement de la stabilité macroéconomique. Alors que la banque des BRICS a un champ d'action plutôt orienté vers le développement, avec un périmètre d'intervention plus similaire à celui de la Banque mondiale que du FMI. Par conséquent, il n'y a nullement de compétition entre les deux institutions. 

 

Propos recueillis par Serge-Henri Malet