Le président de l'Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes (ARCEP) Célestin Kadjidja dresse le bilan du développement du Service universel des télécommunications dans les zones rurales du pays. Les investissements, qui vont se poursuivre en 2025, ont contribué à améliorer la connectivité et l’inclusion numérique.
En 2023, comment ont évolué le parc d’abonnements, la part de marché des grands opérateurs de téléphonie, le taux de pénétration mobile ainsi que le chiffre d’affaires global et celui du segment Internet, et quelles sont les prévisions pour 2024 ?
Célestin Kadjidja : En 2023, le secteur des télécommunications au Gabon a connu plusieurs évolutions importantes par rapport à 2022. Le nombre total d’abonnements mobiles a continué de croître, avec une augmentation notable pour les principaux opérateurs tels que Gabon Telecom, Airtel Gabon et Moov Africa. En termes de répartition, Gabon Telecom a maintenu sa position dominante, tandis qu’Airtel Gabon et Moov Africa ont consolidé leurs parts de marché. La concurrence entre ces opérateurs a favorisé une amélioration des services et une diversification des offres. Quant au taux de pénétration mobile, il a atteint environ 130 % en 2023, contre 125 % en 2022, reflétant une adoption accrue des services mobiles et des smartphones. Toujours en 2023, le chiffre d’affaires global du secteur des télécommunications a augmenté, soutenu par la croissance des abonnements et l’amélioration des services. Le chiffre d’affaires du segment Internet a également connu une hausse en raison de l’augmentation de la demande pour les services de données et de l’expansion des infrastructures Internet. Par conséquent, au vu des tendances actuelles qui montrent une poursuite de la croissance en 2024, nous nous attendons à une augmentation continue du nombre d’abonnements mobiles et du taux de pénétration, ainsi qu’à une hausse du chiffre d’affaires global et du segment Internet, portées par des investissements continus dans les infrastructures et dans l’innovation.
« Cette année, une trentaine de villages bénéficiera d’une couverture réseau à partir de 23 sites identifiés. »
Où en êtes-vous avec la relance du projet de développement du Service universel des télécommunications ?
Pour rappel, le Service universel des télécommunications est une politique publique qui vise à assurer à l'ensemble de la population, dans des conditions tarifaires abordables et indépendamment de la localisation géographique, un ensemble minimal de services, notamment la téléphonie et l'accès à Internet. La phase 1, réalisée entre 2016 et 2018, a consisté en plusieurs initiatives clés pour améliorer l’accès aux services de téléphonie mobile et d’Internet dans les zones rurales : l’installation de 18 stations radioélectriques pour fournir des services de téléphonie mobile et d’Internet dans 33 villages situés principalement le long des axes routiers Makokou-Okondja et Okondja-Aboumi, et la réduction de la fracture numérique en connectant des villages qui n’avaient pas accès aux services de télécommunications, améliorant ainsi la connectivité et l’inclusion numérique. Ce projet a été financé par un fonds spécial alimenté chaque année par les opérateurs de télécommunications dans le but de soutenir le développement des infrastructures nécessaires. Il a significativement amélioré l’accès aux services de télécommunications dans les zones rurales du Gabon, posant les bases pour les phases suivantes du projet.
La phase 2 du projet de développement du Service universel est en cours et porte sur la couverture de 204 villages via l’extension des réseaux des opérateurs de téléphonie mobile existants, Airtel Gabon et Moov Africa Gabon Telecom. Pour cette année, une trentaine de villages seront couverts à partir de 23 sites identifiés. Actuellement, trois sites sont opérationnels, deux dans la Ngounié et un dans la Nyanga. Dans la Ngounié, le site de Mokabo, village situé à 18 km de la ville de Mouila, permet d’assurer la continuité du réseau sur l’axe routier Mouila-Yeno et de couvrir les villages environnants sur un rayon de 10 km. Quant au site d’Etéké, ville aurifère, sa couverture devra profiter à l’ensemble des villages voisins et des opérateurs économiques qui évoluent dans cette zone. Dans la Nyanga, le site de Loango, village situé à 22 km de Tchibanga, garantira par son rayonnement une continuité de service sur 40 km en partant de Tchibanga vers Moabi, ainsi que la desserte des villages situés le long de cet axe. L’installation des 20 autres sites va se poursuivre selon le programme prévu, et ceci sur l’ensemble du territoire national. La suite du déploiement de la phase 2 pour les villages restants se poursuivra en 2025.
« Le contrôle rigoureux du développement du Service universel pour couvrir les zones enclavées est un axe de ma feuille de route. »
Quel est le bilan du Conseil de régulation de l’ARCEP depuis votre prise de fonction ?
Il faut tout d’abord rappeler que ma prise de fonction intervient dans un contexte particulier de la vie politique de notre pays. En effet, au lendemain du 30 août 2023, les Forces de Défense au pouvoir ont engagé plusieurs réformes des institutions nationales, dont celle de l’ARCEP, où ma modeste personne a été portée à la tête du Conseil de régulation lors du Conseil des ministres tenu le 28 septembre 2023. J’ai été instruit par les plus hautes autorités de la République, en tête desquelles le président de la République, président de la Transition, le général de brigade Brice Clotaire Oligui-Nguema, pour mettre en œuvre la feuille de route, qui tient principalement en quatre axes : la mise en place d’un management orthodoxe et efficace pour l’instauration d’un climat social apaisé, la gestion saine des ressources financières sur la base d’un audit préalable, l’optimisation de la gestion du spectre des fréquences radioélectriques et l’implémentation d’une réglementation conforme aux standards internationaux, et enfin le contrôle rigoureux du développement du Service universel pour une couverture des réseaux dans les zones les plus enclavées. C’est dans cette optique que le Conseil de régulation de l’ARCEP, que je préside conformément aux dispositions des articles 117 et 119 de la loi n° 05/2001 du 27 juin 2001 portant réglementation du secteur des télécommunications en République gabonaise, a pris des décisions très importantes que nous pouvons regrouper en trois catégories : fonctionnement interne de l’ARCEP, réglementation nationale et relance des projets, et enfin coopération internationale.
Sur le plan interne, le 13 novembre 2023, le Conseil de régulation a autorisé son président, que je suis, à recruter les cabinets chargés de mener des audits sur les finances, sur les ressources humaines et sur le bâtiment abritant le siège social de l’ARCEP au 1030 avenue Paul Moukambi, à Libreville. Les conclusions de ces audits ont débouché sur des décisions majeures, notamment sur le plan social avec le rétablissement de l’assurance privée, le réaménagement de l’organigramme ainsi que la réduction des écarts de primes et d’avantages accordés au personnel. Par ailleurs, nous avons initié le projet de développement du Service universel des communications électroniques, avec l’ouverture très prochaine de quatre nouvelles stations radioélectriques et l’acquisition d’outils de régulation comme la Plateforme de contrôle continu de la qualité de services (QoS) et de contrôle des stations radioélectriques, la création d’un laboratoire d’homologation des équipements de communications électroniques et la plateforme EIR, etc.
Sur le plan réglementaire, outre l’autorisation donnant avis favorable à l’opérateur Airtel Gabon de déployer son réseau fixe FTTH et celle attribuée à l’entreprise ASTEL de déployer et exploiter son réseau de boucle locale radio sur le territoire national, l’ARCEP procède en ce moment à l’élaboration des textes réglementaires destinés à encadrer plus efficacement le secteur des communications électroniques. Il s’agit notamment de textes réglementant la mise en œuvre du roaming sur les sites du Service universel des communications électroniques, du texte de la réglementation « bac à sable » ainsi que de celui qui réglemente les activités des transactions électroniques. S’y ajoute la relance de la réglementation du secteur des postes, resté en berne depuis plusieurs années : un état des lieux a permis à l’ARCEP de se rapprocher d’autres régulateurs à l’instar de celui du Maroc dans la perspective de signer un partenariat. S’agissant de la gestion du spectre des fréquences en République gabonaise, cette mission est dévolue au régulateur qu’est l’ARCEP. Conformément aux textes en vigueur, l’ARCEP en a délégué la gestion à l’Agence nationale des Infrastructures numériques et des Fréquences (ANINF) par le truchement d’une convention signée le 20 avril 2011. Au regard du contexte actuel marqué par l’obligation de résultats fixée à chaque entité étatique par les plus hautes autorités ainsi que par les attentes contenues dans la feuille de route transmise au président du Conseil de régulation, l’ARCEP se réserve le droit de proposer à l’ANINF la révision de certaines dispositions de ladite convention afin de l’adapter aux réalités actuelles et d’atteindre les objectifs qui lui ont été fixés.
Sur le plan de la coopération internationale, il faut rappeler que le président du Comité de transition pour la restauration des institutions (CTRI), président de la République, chef de l’État, a pris l’engagement d’honorer le Gabon sur le plan international. Cet engagement passe aussi par le règlement des dettes du Gabon à l’Union internationale des télécommunications (UIT) envers laquelle notre pays ne s’était pas acquitté de ses contributions depuis plusieurs années. C’est à ce titre que l’ARCEP a procédé au paiement exceptionnel de l’annuité 2023 de la contribution de la République gabonaise auprès de l’UIT. En outre, l’ARCEP a signé plusieurs accords de coopération, dont celui avec le Centre d’études et de recherches des télécommunications (CERT) de Tunisie ainsi que celui relatif à la coordination des fréquences aux frontières avec l’Agence de régulation des postes et des communications électroniques (ARPCE) de la République du Congo.
Deux accords similaires sont en attente de signature, l’un avec la République du Cameroun et l’autre avec la République de Guinée Équatoriale. L’harmonisation des fréquences aux frontières devient un impératif pour ces trois pays, surtout dans la zone communément appelée « zone des trois frontières », où les opérateurs des télécommunications fournissent les services voix et Internet depuis plusieurs années.
Propos recueillis par Paul de Manfred