Jérôme Ehui, président de l’Association professionnelle des banques et établissements financiers de Côte d’Ivoire (APBEF-CI) et dirigeant de Versus Bank, confirme que même si le taux de bancarisation, estimé à 30 %, progresse dans son pays, l’institution s’emploie à bancariser les 70 % restants de la population active.
La 3e édition du sommet La finance en commun, organisée par la Banque africaine de développement et la Banque européenne d’investissement en partenariat avec l’Agence française de développement, s’est tenue à Abidjan en octobre 2022 sur le thème « Une transition verte et juste pour une relance durable ». Dans quelle mesure l’APBEF a-t-elle été concernée par les conclusions adoptées lors de ce sommet ?
Jérôme Ehui : En 2022, il est évident que le développement durable était au cœur de toutes les réflexions de l’APBEF-CI. De nos jours, il serait totalement irresponsable d’envisager le moindre développement sans prendre en considération l’avenir climatique de la planète, et plus particulièrement de l’Afrique, dont je vous rappelle qu’elle subira plus que d’autres les difficultés à venir. C’est pourquoi je salue l’initiative de La finance en commun, et que je l’applaudis pour sa perspicacité. Cette rencontre a permis de mettre en place plusieurs groupes de réflexion sur les problématiques liées au développement durable et aux changements climatiques. Mais cette initiative ne s’arrête pas là, car les acteurs ont mis en place d’autres coalitions propres à l’Afrique, dont l’Alliance des banques subsahariennes pour le développement, auxquelles adhèrent certains de nos membres. Enfin, mais je me devais de répondre méticuleusement à votre question, l’APBEF-CI a apprécié les différentes sessions auxquelles nous avons assisté parce qu’elles ont eu la richesse et la qualité de mettre en avant, sans retenue, les enjeux primordiaux pour notre environnement : technologies vertes, financement des PME, financement des femmes, fonds verts, etc.
« La performance des banques s’explique par la hausse de 14 % du marché de la clientèle. »
Malgré la crise du Covid-19, le total bilan des banques ivoiriennes a franchi le seuil symbolique de 18 000 milliards de FCFA en 2021. La relance de la machine économique du pays s’est affirmée en 2022 avec un taux de croissance de plus de 6 % qui devrait s’établir à plus de 7 % en 2023. Comment cela s’est-il manifesté sur le total bilan 2022 des banques de la place ?
En ce qui concerne l’exercice 2022, la tendance à la reprise s’est consolidée. Le total bilan des banques ivoiriennes enregistre une hausse de plus de 10 %, avec un niveau de 20 000 milliards de FCFA. Pour expliquer cette performance, il faut considérer les bonnes orientations du marché des titres, qui a enregistré un rebond de 24 % en glissement annuel en s’affichant à 6 463 milliards de FCFA, ainsi que du marché de la clientèle, qui conserve son rythme de croissance en s’affichant à 10 762 milliards à fin décembre 2022, soit une hausse de 14 % en glissement annuel.
Dans le cadre du renforcement des relations entre les banques de Côte d’Ivoire et celles d’Afrique subsaharienne et du Maghreb, vous avez conduit le 3 mars 2022 à Tunis une délégation de l’APBEF-CI. Quelles ont été les retombées concrètes de cette visite auprès de votre homologue tunisien ?
Le 8 juin 1961, le président Félix Houphoüet-Boigny disait : « (…) dans un monde divisé, où les forces du mal risquent, si par malheur elles viennent à s’affronter, d’entraîner le monde dans l’abîme (…) ». Je transposerai ce discours à notre époque, car dans un monde où règnent tant de changements, qu’ils soient numériques, d’intelligence artificielle, de cloud, de blockchain, et j’en passe, le devoir de tout responsable est de développer des relations, notamment avec ses semblables. Ne croyons surtout pas savoir tout sur tout. Or Mohamed Agrebi, le président de l’Association professionnelle tunisienne des banques et établissements financiers, et ses membres expérimentés ont eu la gentillesse de nous recevoir pour partager et construire avec nous. Le SITIC AFRICA du mois de mai 2022 en est un exemple. Au-delà de cet événement, nous avons travaillé sur la mise en œuvre de projets, aussi bien sur la technologie blockchain que sur l’éducation des enfants, qui sont les acteurs de demain, ou encore sur la coopération économique ivoiro-tunisienne. Tous ces projets ont un point commun : de ne pas se rendre coupable, dans les responsabilités qui nous sont confiées, de négliger d’agir.
L’inclusion financière et le taux de bancarisation sont des sujets forts du moment. Comment ces deux questions sont-elles appréhendées à l’APBEF-CI ?
Votre question est pertinente, car l’inclusion financière et l’inclusion bancaire sont des ambitions clairement affichées par l’APBEF-CI. Et des ambitions pour lesquelles, au-delà du discours, nous mettons de réels moyens. Au sens strict, le taux de bancarisation est estimé à 30 %. Et même si ce taux est en réel progrès, et nous pouvons nous en honorer, nous ne pouvons pas nous en satisfaire et devons nous intéresser aux 70 % de la population en activité qui restent à bancariser. Consciente de cet enjeu, l’APBEF-CI s’active à 3 niveaux principaux : d’abord en prenant une part active à la stratégie nationale d’inclusion financière, ensuite en s’engageant sur une stratégie interne d’éducation financière qui rend opérationnelles les actions dévolues aux banques, et enfin en s’impliquant dans le suivi et le plaidoyer nécessaires pour l’amélioration de l’offre de services financiers.
L’APBEF-CI était l’un des partenaires du 6e Forum international fintech au SITIC AFRICA Abidjan qui s’est tenu du 30 mai au 1er juin 2022 sur le thème « Instruments financiers innovants ». Quelles en ont été les retombées, et quelle est l’importance de ce type de manifestation qui semble plus cibler les professionnels que le grand public ?
Vous avez conscience de ce que le monde dans lequel nous vivons change à une vitesse que certains trouvent parfois insoutenable. Les révolutions du numérique, notamment, changent nos approches tant de la gestion que de la relation. En 2000, il y a à peine 20 ans, les banques en ligne n’avaient pas réussi une percée remarquable. Aujourd’hui, aucune banque ne peut prétendre ne pas avoir le numérique au sein même de toutes ses organisations et décisions. C’est pourquoi des salons comme SITIC AFRICA, qui abattent un travail considérable pour rassembler tous les acteurs, sont impératifs pour disposer d’une vision juste et appropriée pour l’avenir.
C’est ainsi que la 6e édition SITIC AFRICA qui s’est tenue à Abidjan a permis aux acteurs africains et internationaux du numérique de présenter une offre avec des ouvertures sur les nouveautés 5G, Internet des objets, Big Data, Industrie 4.0 et bien d’autres. C’est pourquoi ce forum est judicieux à plus d’un titre pour l’ensemble du marché – fintech, banques, État et régulateur, grandes entreprises et PME – car suivant le cas, tous subissent les changements technologiques du marché bancaire ou se métamorphosent. Alors oui, bien évidemment, ces sessions ont l’air plutôt techniques. Mais c’est par l’appropriation de cette nouvelle technicité que les acteurs financiers pourront aller à la rencontre du grand public avec des arguments sagaces et démontrés.
Propos recueillis par Louise Bibalou-Durand