« Moody’s classe la Côte d’Ivoire au rang des économies émergentes comme l’Afrique du Sud »

Éric N’Guessan, Country Managing Partner chez EY Côte d’Ivoire, détaille les principales innovations fiscales de la dernière loi de finances 2024, élaborées autour de 5 axes stratégiques. Il relève aussi que l’impact positif des agences de notation a contribué au succès de la levée de fonds de 2,6 milliards de dollars sur les marchés internationaux.

Country Managing Partner, EY Côte d’Ivoire

Vous avez observé qu’en début d’année, la Côte d’Ivoire a réussi à lever 2,6 milliards de dollars en eurobonds lors d’une opération qui a beaucoup intéressé les investisseurs, la première de cette ampleur dans la période post-Covid. Cela peut-il donner des idées aux autres pays africains ? Á terme, que va rapporter cette réussite à la Côte d’Ivoire ?

 

Éric N’Guessan : Comme de nombreux pays d'Afrique subsaharienne, la Côte d'Ivoire recherche des financements importants pour atteindre ses objectifs de développement et de durabilité. La réussite de cette levée de fonds pour la Côte d’Ivoire indique une poursuite de la reprise post-pandémique et des perspectives de croissance certaine. Cette opération réussie d’eurobonds a eu l’avantage de lever des ressources à maturité plus longue que celles disponibles sur le marché local, limitant ainsi le poids du service annuel de la dette sur les finances publiques, d’autant plus que de grands chantiers sont à mettre en œuvre à moyen et long termes par la Côte d’Ivoire dans une optique de diversification et d’industrialisation de son économie. L’opération a effectivement suscité l’intérêt d’autres pays africains : d'après la plate-forme d'informations financières Bloomberg, le Sénégal a levé avec succès 450 milliards de FCFA début juin 2024, devenant le quatrième pays d'Afrique subsaharienne à recourir au marché cette année après le Bénin, la Côte d'Ivoire et le Kenya. Plusieurs autres pays d’Afrique devraient emboîter le pas à la Côte d’Ivoire dans un avenir proche. Néanmoins, le risque souverain reste une véritable préoccupation pour les pays africains dans leur quête de développement. 

 

« Le GUDE-PME, en mobilisant des fonds importants, facilite l'accès au crédit pour les PME. »

 

Depuis 2021, les PME de Côte d'Ivoire représentent selon le gouvernement 23 % du PIB et 23 % de l'emploi formel. Le Guichet unique de développement des PME (GUDE-PME), qui entend accompagner 80 000 PME en 2024 pour un financement d’environ 267 millions de dollars (160 milliards de FCFA) avec le Programme économique pour l'innovation et la transformation des entreprises (PEPITE), peut-il renforcer les indicateurs du climat des affaires ? 

 

L’État de Côte d’Ivoire, grâce à la création d’entités telles que l’Agence Côte d’Ivoire PME et le Guichet unique des PME, matérialise sa volonté de créer des champions nationaux et d’avoir une économie qui repose sur des PME solides. Cette vision politique s’appuie notamment sur des initiatives comme le Programme économique pour l'innovation et la transformation des entreprises PEPITE. Ces efforts conjugués peuvent générer une embellie considérable du climat des affaires en Côte d’Ivoire si les différents acteurs du cadre institutionnel (privé et public) fonctionnent dans un cadre coordonné et si les problématiques de financement sont adressées. Le GUDE-PME, en mobilisant des fonds importants, pourrait faciliter l'accès des PME au crédit, leur permettant ainsi d'investir dans l'innovation afin d’améliorer la productivité et, par ricochet, de contribuer fortement à l’accroissement du PIB. Par ailleurs, le programme PEPITE devrait favoriser la sortie des entreprises opérant dans l'informel. En soutenant les PME, le programme peut aussi aider à renforcer les chaînes de valeur locales et régionales, favorisant l'intégration et la diversification économiques. Cela réduit la dépendance aux exportations de matières premières et crée pour les entreprises locales des opportunités de monter en gamme. Toutes ces actions, si elles sont menées en synergie, pourraient avoir des impacts positifs énormes sur la création d’emploi et l’attractivité d’investisseurs étrangers. En conclusion, le GUDE-PME et le programme PEPITE ont le potentiel de transformer le paysage économique et de soutenir la croissance économique durable en Côte d'Ivoire. Cependant, la synergie dans les actions de l’écosystème reste un facteur clé de succès.

 

Quelles sont les innovations fiscales de la loi de finances 2024 sur un budget qui s’équilibre en ressources et en dépenses à 13 720,7 milliards de FCFA, contre 11 694,4 milliards en 2023, soit une progression de 17,3 % ? Quelle part a été accordée à l’investissement dans les secteurs porteurs ?

 

Pendant que nous nous attelons à contribuer au titre du secteur privé à l’élaboration de la loi de finances 2025, nous pouvons dans les grandes lignes rappeler les principales innovations fiscales de la dernière loi de finances 2024, élaborées autour de 5 axes stratégiques. En premier lieu, le renforcement des capacités de mobilisation des ressources de l’État par la limitation du champ de l’exonération de la TVA aux produits alimentaires naturels de grande consommation, l’assujettissement de plein droit à la TVA des entreprises de transport relevant du régime réel d’imposition, et enfin l’application de la taxe sur les jeux de hasard exploités en ligne. En deuxième lieu, le soutien aux entreprises avec la suppression du droit de timbre de quittance pour les dépôts inférieurs ou égaux à 5000 FCFA. Troisièmement, l’amélioration du civisme fiscal par la subordination du bénéfice des avantages fiscaux ou douaniers et certaines procédures administratives (formalités de la vie civile et économique) à la régularité de la situation fiscale et/ou douanière. Quatrième axe : le renforcement de la fiscalité environnementale par l’exonération des droits de douanes et de la TVA sur l’acquisition d’équipements et matériels dans le domaine de la production d’énergies renouvelables. Et enfin, les mesures techniques et de rationalisation du dispositif fiscal notamment, et l’institution d’une déclaration unique des cotisations sociales et des impôts sur les traitements, salaires, pensions et rentes viagères. Pour ce qui est de la part du budget 2024 accordée aux investissements dans les secteurs porteurs, elle s’élève à 4 003,7 milliards de FCFA.

 

« Nous offrons un accompagnement stratégique aux investisseurs. » 

 

L’agence Moody’s a relevé la note souveraine de la Côte d’Voire de Ba3 (perspective positive) à Ba2 (perspective stable), une notation qui octroie désormais à la Côte d’Ivoire le deuxième meilleur crédit d’Afrique subsaharienne. Comment analysez-vous l’impact de cette notation sur son économie à court terme ? 

 

La nouvelle note attribuée par Moody’s classe désormais la Côte d’Ivoire au rang des économies émergentes comme l’Afrique du Sud, le Brésil et le Vietnam. Cette évaluation témoigne de la confiance de cette agence internationale dans les avancées notables réalisées par la Côte d'Ivoire au cours de la dernière décennie. Le 17 mai 2024, l’autre agence de notation internationale S&P a également décidé de porter la perspective associée à la notation de la Côte d’Ivoire de BB+ à BB-. Toutes ces notations témoignent de la bonne trajectoire économique du pays, avec des indicateurs au vert et un risque de cessation de paiement maîtrisé, toutes choses ayant contribué au succès de la levée de fonds de 2,6 milliards de dollars déjà évoquée. Á court terme, la perspective stable (BB-) de Moody’s pour la Côte d’Ivoire devrait lui permettre d’accentuer l’accompagnement par ses bailleurs de fonds (BAD, FMI, Banque mondiale, etc.) dans sa volonté d’améliorer la répartition des richesses et donc, par ricochet, permettre un meilleur accès des populations au crédit et des créations d’emploi. Le gouvernement ivoirien s’est par ailleurs engagé, à travers le Plan social du gouvernement (PS-Gouv 2024-2028), à améliorer l’inclusion sociale, c’est-à-dire l’accès aux services sociaux de base, l’électrification et l’adduction d’eau, etc. L’objectif est clairement d’améliorer l’indice de développement humain (IDH) du pays, qui a connu un léger recul (-0,16 points), par le biais de l’assistance aux personnes vulnérables grâce à plusieurs programmes dont le Programme filets sociaux productifs (PFSP), une initiative du gouvernement ivoirien qui a bénéficié en 2015 d’un appui technique et financier initial de la Banque mondiale et intervient dans le cadre de la mise en œuvre de la Stratégie nationale de protection sociale (SNPS) adoptée en mai 2014.

 

EY Côte d'Ivoire couvre 16 pays de la sous-région Afrique subsaharienne francophone avec 11 bureaux. Dans un pays économiquement dynamique comme la Côte d’Ivoire ou ceux du reste de l’UEMOA, quelle est l’importance de votre expertise auprès des investisseurs ? 

 

En tant que Country Managing Partner d'EY Côte d'Ivoire, je suis très fier, tout en rappelant notre position de leader sur notre marché, de souligner l'importance cruciale de notre expertise pour les investisseurs opérant dans un environnement économique aussi dynamique que celui de la Côte d'Ivoire et de l'ensemble de l'UEMOA. Notre position nous confère une perspective unique et une compréhension approfondie des enjeux locaux et régionaux. Notre expertise est essentielle aux investisseurs pour plusieurs raisons. Tout d’abord, notre connaissance approfondie du marché local et régional : notre présence étendue dans la région grâce à notre réseau dense nous permet de fournir des insights précis et actualisés sur les marchés locaux. Nous comprenons les nuances culturelles, économiques et réglementaires qui sont indispensables pour naviguer avec succès dans ces marchés. Ensuite, notre accompagnement stratégique : nous offrons un accompagnement stratégique aux investisseurs en les aidant à identifier les opportunités de croissance, à évaluer les risques et à élaborer des stratégies d'entrée et d'expansion adaptées. Par ailleurs, le respect de la conformité et des réglementations nous permet d’assister nos clients prestigieux dans leurs investissements en toute sécurité. Nous investissons aussi constamment dans l'innovation et la technologie pour fournir des solutions de pointe à nos clients. Cela inclut l'analyse de données, l'intelligence artificielle et la cybersécurité, qui sont toutes essentielles pour rester compétitif dans un environnement commercial en rapide évolution. Enfin, nous aidons les investisseurs à intégrer les principes de développement durable et de responsabilité sociale et sociétale dans leurs stratégies d'entreprise, ce qui est de plus en plus important pour les parties prenantes et les consommateurs. En somme, notre expertise chez EY Côte d'Ivoire est un atout inestimable pour les investisseurs qui cherchent à maximiser leur potentiel dans la région. Nous sommes dédiés à fournir des services exceptionnels qui contribuent à la croissance et au succès de nos clients, tout en favorisant le développement économique durable de la Côte d'Ivoire, de l'UEMOA et des autres ensembles économiques dans lesquels nous opérons.

 

Propos recueillis par Serge-Henri Malet