Entretien à 2 voix – Président et secrétaire général d’Eurocham - Au service de l’Afrique, de l’entrepreneur et de la micro-entreprise

La Chambre de commerce européenne au Sénégal (Eurocham), qui conseille les investisseurs respectueux des valeurs de l’UE, va au-delà de sa contribution de 30 % au PIB. François Cherpion, président de cette association de droit sénégalais, et Nicolas Soyere, secrétaire général, nous en disent plus.

Quelles sont les missions d'Eurocham, qui regroupe environ 200 entreprises, soit plus de 70 000 salariés ? 

 

François Cherpion : Notre organisation est membre d’EBOWWN (European Business Organization World Wide Network), réseau qui regroupe 51 Chambres de commerce européennes dans le monde, dont 15 en Afrique. Notre adhésion nous confère le statut officiel de Chambre de commerce européenne au Sénégal. Nous sommes directement impliqués et consultés au niveau de l’UE dans la mise en œuvre de sa programmation en faveur du secteur privé et, de ce fait, principal interlocuteur de la Délégation pays de l’UE et des partenaires bilatéraux européens présents au Sénégal. 

Notre première mission est d’être « la porte d’entrée des investisseurs européens au Sénégal ». Nos objectifs sont que tous les investisseurs européens potentiels, y compris ceux dont les pays n’ont pas de missions économiques présentes au Sénégal, bénéficient du même niveau d’information et de mises en relation pertinentes répondant à leurs besoins en vue de leur implantation ou de leur recherche de partenaires stratégiques respectueux des valeurs européennes. Nous sommes en mesure de proposer des services 100 % adaptés à leurs demandes, individuelles ou en délégation, à travers des missions économiques ou des Chambres de commerce nationales.

Notre deuxième mission est de maintenir et d’animer notre réseau. Notre organisation est forte d’environ 200 entreprises de tous les secteurs d’activité. Nous leur assurons une veille juridique, la transmission d’informations pertinentes et l’organisation d’activités favorisant le réseautage pour le bon développement de leurs activités. 

Notre troisième rôle est de promouvoir les bonnes pratiques par la mise en place de cadres de dialogue privé/privé et public/privé qui favorisent l’environnement des affaires. Nous travaillons activement, avec nos commissions thématiques composées de nos membres, à être force de proposition auprès des autorités sénégalaises afin de contribuer à l’amélioration du climat des affaires, car il n’y a pas de meilleure vitrine qu’un secteur privé sain et dynamique pour attirer de nouveaux investisseurs.

Le quatrième rôle d’Eurocham est de faire en sorte que nos membres respectent les valeurs de l’UE, mais rien ne nous empêche de travailler avec des entreprises d’Angleterre ou de Suisse, qui ne font pas partie de l’Union, dès lors que les conditions du dialogue restent conformes à nos valeurs. Travailler avec des entreprises non européennes ne signifie pas les intégrer, mais tirer le secteur économique vers le haut.

Notre premier intérêt, c’est l’Afrique. Le deuxième, c’est de voir comment l’Europe s’y intègre. Il faut que prévalent les valeurs humanistes et le développement humain. L’Afrique ne doit pas être une extension de l’Europe, mais clairement un lieu de partenariat d’égal à égal, avec un transfert de compétences où chacun trouve son compte.

BIO 

François Cherpion, président d’Eurocham depuis 2023, a été nommé en 2022 directeur général Maroc-Sénégal-Turquie chez Tolsa Group (SP), spécialiste de l’exploitation de gisements de minerais. 

Titulaire depuis 1995 d’un diplôme en systèmes d’information et organisation délivré par l’Institut commercial de Nancy, il débute sa carrière dès 1994 au Conseil général des Vosges comme chef de projet d’une opération à caractère social. En 1995, il est journaliste d’entreprise chez France Telecom. En 1996, en tant que major des Forces françaises stationnées en Allemagne, il assume la responsabilité des formations et concours ainsi que des relations publiques. 

La passion de l’étranger ne le quitte plus, et c’est en Tunisie qu’il exerce jusqu’en 2002 le métier de responsable administratif, financier et logistique au sein de l’entreprise VF Corporation (US) – Ifrykia Holding (TN). Toujours en Tunisie, il rejoint ensuite jusqu’en 2013 Cementos Portland-Vaderrivas (SP) – Société des ciments d’Enfidha (TN) en tant que directeur central économique, directeur général puis président directeur général Tunisie. Enfin, il intègre Tolsa Group en Turquie comme directeur général jusqu’à son poste actuel au Sénégal.

L’adhésion à Eurocham est-elle réservée aux grandes entreprises ?

 

François Cherpion : Tout le monde pense qu’Eurocham, c’est seulement les CFAO ou les grandes sociétés comme Eiffage. Ces entreprises, on les a : Iberia, Air France, c’est fantastique ! Mais quid de notre place auprès de l’entrepreneur et de la micro-entreprise ? Pour nous, grand ou petit, vous avez la même place. Nous avons une commission dédiée aux TPE. Nous apportons à toutes les entreprises un service garanti par notre statut de membre d’un réseau international. Nous avons l’obligation de présenter en ligne les entreprises avec une charte d’éthique et une participation aux événements et aux enquêtes. Ces informations actualisées montrent ce que nous pesons. Notre but, c’est d’accueillir l’entrepreneur et son entreprise. L’important n’est pas la taille, mais la volonté d’investir et de participer à la vie de notre pays d’accueil.

 

Quelle est la composition de votre conseil d’administration ?

 

François Cherpion : Le conseil d’administration (CA) doit essayer de refléter à la fois la composition des entreprises et les États membres de l’Union européenne. Donc, notre CA est composé d’entreprises de différentes tailles et de divers secteurs, avec un maximum de pays représentés : Italie, France, Belgique Portugal, Espagne. Attention, avant tout, il faut rappeler que c’est aussi un engagement associatif et entièrement bénévole. Nous privilégions donc les membres qui veulent participer activement à la vie de la Chambre. Être membre vous confère des droits mais également des devoirs. Pointe d’amertume : ce CA est très bien mais pas assez féminin. 

En plus du conseil et du bureau, il est demandé aux présidents de nos commissions thématiques de s’investir dans la vie de l’association. Certaines travaillent sur la logistique, en particulier les besoins en matière de transport comme le port, la RSE, l’Oil & Gas, et d’autres dans les RH et la formation. Eurocham a ainsi pu proposer des formations en faveur des entreprises de toute taille grâce à un accord avec le système de formation sénégalais 3FPT. Sous l’égide de notre secrétaire général ont été négociés pour 750 salariés des taux réduits applicables à différentes formations comme le leadership, la gestion de projet ou encore Excel. Cette formule n’était pas réservée à nos chefs d’entreprises, mais destinée à leurs employés souhaitant s’instruire et progresser. Nous avons testé, Nicolas et moi-même, et le niveau était excellent.

Au Sénégal, contrairement à l’Europe, le travail n’est pas figé, il y a une très forte mobilité dans les corps de métiers. Les gens aiment progresser et apprendre. Tout le monde va payer un diplôme, bon ou pas, et les formations, même si elles sont nombreuses, ne répondent pas forcément au besoin du secteur privé. Ce que nous proposons, ce sont de vraies formations délivrant un certificat de compétences dans un secteur porteur déterminé.

 

Depuis le début de vos activités en 1993, quelles sont les dates importantes de l’évolution de la structure ?

 

François Cherpion : Créée en 1993 sous le nom de CIFAS (Club des investisseurs français au Sénégal) à l'initiative d’une poignée d’hommes d’affaires rencontrant les mêmes difficultés, notre association a évolué, s'est ouverte en 2011 aux entreprises européennes et suisses installées au Sénégal et a pris le nom de CIES (Conseil des investisseurs européens au Sénégal). En 2018, nous avons acquis le statut de Chambre de commerce européenne EBOWWN, ce qui a renforcé notre engagement à agir comme relais de réflexion et pôle d’échanges constructifs entre Sénégal et Europe. Le 2 mars 2020, le CIES est devenu Eurocham Sénégal. 

À l’initiative de la création de cette organisation, il y a Gérard Sénac. Président des conseillers du commerce extérieur de la France et directeur général d’Eiffage, il avait constaté avec son grand complice le regretté Pierre Michaux, décédé il y a deux ans, un vide face à ceux qui ne respectaient pas les règles du marché et face à des problématiques communes rencontrées par les entreprises et non résolues, et tous deux étaient animés d’une grande envie de contribuer à l’amélioration du climat des affaires en faveur de tout le secteur privé, principal moteur de croissance d’un pays. Après 27 ans, nous avons la reconnaissance des partenaires et des autorités comme Chambre de commerce européenne, et nous mettons en œuvre des projets de co-développement en Afrique de l’Ouest. En juin 2023, notre secrétaire général a été élu coordinateur des Chambres européennes sur le continent africain. 

 

Comment se mesure l’action d’Eurocham sur l’économie sénégalaise ces deux dernières années ? 

 

François Cherpion : En termes de bénéfice pour l’économie sénégalaise, nous contribuons à environ 30 % du PIB du Sénégal, et à peu près la même chose en recettes fiscales, sans compter l’arrivée des nouveaux membres du secteur du gaz. 

Nicolas Soyere : Concernant le salaire des employés, même si le rapport de notre étude n’est pas encore terminé, les premiers chiffres disponibles indiquent qu’à Eurocham, alors que le salaire moyen au Sénégal est de 150 000 FCFA brut, il est de 283 000 FCFA, soit bien au-delà des minima. Contrairement à l’informel, nos salariés sont tous déclarés et régulièrement formés.

 

Quel va être l’impact de vos nouveaux membres du secteur du gaz sur l’employabilité ?

 

François Cherpion : Nous allons voir l’impact de ces nouveaux arrivants sur les emplois et les salaires. Ces secteurs paient souvent plus à cause des compétences techniques ou des activités dangereuses. Mais la dégradation mondiale de l’économie a conduit les entreprises à se redimensionner : il faut donc considérer ce que représentent 30 % de la réalité économique du Sénégal. Ce qui nous encourage est que le président Macky Sall conduit une politique d’infrastructures forte qu’il avait déjà initiée comme Premier ministre et président de l’Assemblée. Une politique commencée il y a 20 ans avec le président Wade, à qui l’on reprochait l’envol de la dette. Ne pas s’endetter, c’est bien, mais sans infrastructures, que fait-on ? Toutefois, il manque la voie ferrée, qui reste un vrai problème au Sénégal. C’est le grand chantier d’intégration régionale.

 

Pour 2024, année électorale, quels sont vos objectifs, et quel bilan du président Macky Sall pouvez-vous dresser ?

 

François Cherpion : Les objectifs restent les mêmes. Il faut que l’État travaille avec les entreprises et les syndicats sur l’amélioration du climat des affaires. Les grands dossiers sont connus : lutte contre la corruption, facilitation de l’accès au foncier et au financement ou encore lutte contre l’informel afin d’élargir l’assiette fiscale qui repose sur trop peu d’entreprises.

Quant au bilan du président Macky Sall, il est suffisamment bon. Les acquis en termes d’infrastructures sont indéniables : le Club de Paris, les investisseurs et les sociétés viennent au Sénégal. Le pays a très bien tiré son épingle du jeu en profitant de la situation Covid. Le soutien à l’économie et aux populations était un choix difficile, avec un préjudice fiscal pour assainir les finances qui sera plus difficile à contenir. Macky Sall a bien géré son équipe et a su contenir l’opposition, y compris dans son camp. En redistribuant les cartes lors du dernier remaniement ministériel, il a su attirer des gens de grande qualité. Il a aussi utilisé son talent dans la société économique, laissant une réelle place au dialogue public/privé, d’où la meilleure compréhension entre le monde de l’entreprise et lui. 

Sa plus grande réussite, c’est que l’année prochaine, le climat sera plus apaisé. Il n’a jamais été question qu’il se représente. Mais il était difficile de l’annoncer trop tôt sous peine de dévaloriser la parole présidentielle, diviser les équipes et faire porter des attaques sur les candidats alors que le gouvernement doit tenir le cap jusqu’au bout. Il fallait juste préserver jusqu’au dernier moment le meilleur choix du dauphin, qui s’est porté sur Amadou Ba, ancien ministre des Finances et du Budget et ancien ministre des Affaires étrangères. Haut fonctionnaire, c’est un homme d’État qui connaît les besoins du pays. On l’attend sur l’amélioration de la fiscalité et la lutte contre l’informel qui dessert les moyens de l’État. C’est le défi de 2024. 

M. Sonko devrait-il ou non être candidat ? Notre organisation est complètement apolitique. C’est à la justice sénégalaise d’en décider, pas aux entreprises ni à Eurocham. Son programme est-il réaliste ? Celui de Macky Sall était-il considéré comme tel à son arrivée au pouvoir ? Peut-être pas, mais il a changé quelque chose et le pays bouge.

Nicolas Soyere : On a vu un président Macky Sall plutôt bien gérer l’ensemble des crises. Au niveau africain, il a su négocier la transition en Gambie, et il est allé négocier avec la Russie du blé ukrainien. Il a fait des choix économiques pour s’adapter aux besoins de développement. Amadou Ba prendrait la suite, il connaît bien les dossiers. Dans la presse sénégalaise, un article dit que les métiers d’inspecteur des impôts et d’économiste sont surreprésentés dans la liste des candidats. Or c’est une bonne chose d’avoir des candidats qui ont une réelle vision de développement économique.

 

Propos recueillis par Boubacar Gassama