Edward Gemayel, chef de mission du Fonds monétaire international (FMI) pour le Sénégal, livre les conclusions de sa dernière tournée dans le pays. Un diagnostic sur l’économie sénégalaise qui incite à l’optimisme s’agissant de sa course au développement.
En votre qualité de chef de mission du FMI pour le Sénégal, quelle est votre appréciation sur la situation des finances publiques sénégalaises, et notamment sur son endettement ?
Edward Gemayel : Dans un contexte économique mondial et régional difficile, l'engagement sans faille des autorités sénégalaises en faveur de l'assainissement budgétaire se révèle être un pilier essentiel pour maintenir une trajectoire d'endettement viable. La tendance budgétaire actuelle, jugée appropriée, s'annonce comme le socle d'une convergence progressive vers l'objectif régional de déficit visant 3 % du PIB d'ici à 2025. Cette convergence repose sur deux piliers. Le premier pilier est le renforcement de la mobilisation des recettes, qui se trouve au cœur de la stratégie d'assainissement budgétaire. La mise en œuvre de la Stratégie de mobilisation des recettes à moyen terme (SRMT) prend en compte des engagements concrets, dont la réduction des dépenses fiscales et l'élargissement de l'assiette fiscale. L'objectif ambitieux est d'atteindre un ratio recette sur PIB de 20 % d'ici à 2025. Quant au deuxième pilier majeur de la stratégie de consolidation, il s’agit de la suppression progressive des subventions énergétiques non ciblées. Les autorités ont pris des engagements clés et élaboré une feuille de route publiée en janvier 2023. Cette feuille de route, axée sur deux principes, vise d'abord à aligner les prix nationaux sur les prix internationaux en éliminant progressivement les subventions non ciblées d'ici à 2025, avec l’objectif intermédiaire de les plafonner à 1 % du PIB en 2024. Deuxièmement, elle aspire à améliorer les transferts ciblés pour protéger les populations les plus vulnérables face à l'impact des fluctuations des prix de l'énergie.
Concernant l'endettement, bien que la dette reste soutenable, la marge de surendettement du Sénégal s'est réduite. Une estimation prévoit une augmentation temporaire de la dette du secteur public à 79,6 % du PIB en 2023, principalement du fait du surfinancement gouvernemental. Cependant, des mesures sont envisagées pour contenir cette croissance en 2024 et maintenir la trajectoire descendante de la dette du secteur public, avec des niveaux ciblés à 72,5 % du PIB en 2024. De même, les autorités affirment leur détermination à mettre en place des mesures additionnelles, notamment une gestion plus proactive de la dette dans les entreprises publiques, l'établissement de plafonds indicatifs d'encours de la dette pour les grandes entreprises publiques, et un suivi consolidé par le biais d'un comité dirigé par le ministre des Finances. La transparence sera accrue avec la publication des états financiers des entreprises publiques, et le Comité national de la dette publique verra ses fonctions élargies. En somme, les autorités sénégalaises restent résolument engagées à faire avancer des réformes cruciales pour garantir une gestion financière rigoureuse et assurer la soutenabilité de la dette, démontrant ainsi leur vision à long terme pour la stabilité économique du pays.
« Bien que la dette reste soutenable, la marge de surendettement du Sénégal s'est réduite. »
Pouvez-vous résumer les conclusions de la dernière mission du FMI au Sénégal que vous avez conduite en octobre dernier ?
Les performances des programmes ont été satisfaisantes. Á l’exception d’un indicateur quantitatif, tous les critères de performance et les objectifs indicatifs pour la fin juin 2023 ont été respectés. Quatre des six critères structurels pour la première revue du programme soutenu par le Mécanisme élargi de crédit (MEC) et la Facilité élargie de crédit (FEC) ont été remplis. Les autorités se sont engagées à mettre en œuvre les deux critères structurels restants concernant la gouvernance et la stratégie de dépenses fiscales avant l’examen du dossier par le conseil d'administration du FMI. Les deux mesures de réforme pour la première revue du programme au titre de la Facilité pour la résilience et la durabilité (FRD), qui portent sur l'adoption d'un décret sur la gestion des investissements publics intégrant des considérations climatiques à chaque étape de l'élaboration du projet et le plan de mise en œuvre de la stratégie pour des transports publics verts, ont été mises en œuvre. La mission a enfin encouragé les autorités à parachever les mesures résiduelles du plan d’action pour sortir de la liste grise du Groupe d’action financière (GAFI) en mai 2024.
Une mise à jour de l'évaluation du cadrage macroéconomique a également été réalisée. Selon nos estimations, la croissance de l'activité économique devrait atteindre 4,1 % en 2023, soit en dessous du niveau d'avant la pandémie pour la deuxième année consécutive. Des facteurs tels qu'un environnement extérieur défavorable et la situation socio-politique du premier semestre 2023 ont impacté les secteurs du commerce et des services. L'inflation devrait augmenter à 6,5 % cette année, ne revenant pas avant 2025 à l'objectif de 3 % de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Le déficit du compte extérieur courant devrait diminuer modérément à 14,5 % du PIB. Les perspectives macroéconomiques devraient s'améliorer après l'élection présidentielle et le démarrage de la production d'hydrocarbures au second semestre 2024, avec une croissance du PIB réel prévue à 8,3 % en 2024, dont 5,4 % hors hydrocarbures.
En résumé, le nouveau programme appuyé par la MEC/FEC, ainsi que le soutien financier d'autres partenaires comme la Banque mondiale, joueront un rôle essentiel pour corriger les déséquilibres macroéconomiques, répondre aux besoins de la balance des paiements du Sénégal à moyen terme et contribuer à la reconstitution des réserves régionales. Le financement simultané de la FRD soutiendra également les efforts du Sénégal en matière d'atténuation des effets du changement climatique et d'adaptation à ce changement en fournissant des ressources supplémentaires.
« La productivité demeure impérative pour propulser le pays vers le statut d'économie émergente. »
La prochaine étape pour le Sénégal dans cette course au développement est d’accéder au rang de pays émergent. Á quels handicaps se heurte le Sénégal pour atteindre ce niveau ?
Bien que le Sénégal ait traversé une phase de croissance significative depuis 2014, brutalement interrompue par la pandémie de Covid-19, une analyse approfondie de cette période de prospérité révèle que l'augmentation de la productivité demeure impérative pour propulser le pays vers le statut d'économie émergente. Cela favoriserait une convergence accélérée des revenus avec ceux des nations à revenu intermédiaire.
Malgré des orientations gouvernementales favorables à la croissance, leur contribution à la transformation économique demeure insuffisante. Pour stimuler une croissance à moyen terme, il est essentiel d'améliorer efficacement l'accès à l'éducation et de développer les compétences, tout en entreprenant une réforme structurelle globale afin de surmonter les obstacles entravant le développement du secteur privé. Les défis liés au coût et à la fiabilité de l'approvisionnement en électricité dans une grande partie du pays constituent également un frein à une croissance durable. En outre, une compréhension approfondie des opportunités et des risques liés aux politiques sectorielles est nécessaire. Notre analyse souligne que des interventions politiques sectorielles pourraient être renforcées par une identification plus précise des défaillances du marché justifiant ces actions, des évaluations plus fréquentes et exhaustives, un choix plus sélectif des secteurs, et une amélioration de la transparence et de la conception des politiques pour prévenir la recherche de rente.
Des avancées significatives sont déjà en marche dans divers secteurs, et il devient impératif de maintenir l'élan des réformes. Dans le domaine de l'éducation, le Sénégal s'emploie activement à étendre l'accès à l’enseignement et à en améliorer la qualité. Cette initiative se concrétise par l'augmentation des taux d'inscription, particulièrement pour les filles, et par l'amélioration de la formation professionnelle en vue d'aligner les compétences sur les exigences du marché. Les efforts déployés pour renforcer la gouvernance comprennent des mesures anti-corruption et une intensification de la transparence. Le gouvernement a présenté des projets de loi à l'Assemblée nationale visant à élargir les prérogatives et les pouvoirs de l'Office national de lutte contre la fraude et la corruption (OFNAC), ainsi que du système de déclaration du patrimoine. Dans le domaine de l'énergie, des mesures significatives sont également en cours. Actuellement, un peu plus de la moitié de la population sénégalaise bénéficie d'un accès à une électricité fiable, principalement en zone urbaine. En 2020, le gouvernement sénégalais a fixé un objectif ambitieux : fournir un accès à une électricité fiable, de haute qualité et abordable à l'ensemble de la population d'ici à 2025 grâce au Plan d'accès universel à l'électricité. Pour atteindre cet objectif, le Sénégal et sa compagnie nationale d'électricité, Senelec, collaborent avec le MCC (à travers Power Africa) et d'autres partenaires au développement. Au cours de la dernière année, cette collaboration a permis de connecter environ 200 000 nouveaux foyers au réseau, dont 160 000 dans les zones rurales, représentant ainsi une avancée significative dans la bonne direction.
Propos recueillis par Serge-Henri Malet
BIO
Edward R. Gemayel a rejoint le FMI en 2001. Il y est actuellement conseiller au département Afrique et chef de mission pour le Tchad. Auparavant, il a assumé diverses fonctions de direction au sein du département Stratégie, Politique et Révision ainsi qu'au sein du département Moyen-Orient et Asie centrale. Il a également dirigé des missions en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie centrale.
Avant de rejoindre le FMI, Edward R. Gemayel était chef de division à la Banque centrale du Liban, après avoir travaillé pendant deux ans dans la banque d'investissement. Il a également été maître de conférences en économie et finance à l'université américaine de Beyrouth et à l'université Saint-Joseph. Il est diplômé de l'université McGill et de l'université Concordia (Montréal, Canada).