Lutte contre la Fraude : « Nous avons renforcé les contrôles douaniers »

Hugues Modeste Odjangou, directeur général des Douanes et Droits Indirects (DGDDI), se réjouit du fait que l’administration des Douanes ait pu largement dépasser l’objectif de recettes fixé par la loi de finances 2024.

Hugues Modeste Odjangou, directeur général des Douanes et Droits Indirects (DGDDI)

 

Depuis le 31 janvier 2024, vous êtes le nouveau directeur général des Douanes et Droits Indirects. Le choix s’est porté sur votre personne après une sélection rigoureuse avec l’audition de 9 candidats pour ce poste. Quels sont les chantiers prioritaires que vous avez dû gérer à votre arrivée ?

 

Hugues Modeste Odjangou : Permettez-moi avant tout de saluer tout le grand travail accompli par tous mes prédécesseurs. En effet, je m’inscris dans la continuité de l’administration, conformément aux instructions des plus hautes autorités qui s’articulent autour de la restauration de la Douane gabonaise, à travers l’optimisation des recettes douanières et la modernisation de l’entité dont j’ai la charge.

Pour ce faire, dès mon arrivée à la tête de la Direction Générale des Douanes et Droits Indirects (DGDDI), j’ai poursuivi et renforcé les efforts de mes prédécesseurs en réinstaurant l’obligation du port de l’uniforme, visant à renforcer la cohésion des équipes et à améliorer l’image professionnelle de l’administration. De plus, lors des célébrations des 17 et 30 août 2024, marquant le 64e anniversaire de l’indépendance et le premier anniversaire du coup de libération, l’administration des Douanes a eu l’honneur de participer aux défilés militaires, soulignant ainsi son engagement envers les valeurs républicaines. D’ailleurs, nous travaillons aujourd’hui à ce que le personnel de l’administration des Douanes gabonaises soit doté d’un cadre juridique pertinent et efficace afin de répondre à sa mission de défense de la nation, conformément à l’article 24 nouveau de la loi n°004/98. Et ce cadre juridique passe inéluctablement par l’adoption d’un statut particulier. Parmi les autres chantiers prioritaires, nous avons poursuivi nos efforts pour optimiser le recouvrement des recettes douanières, en mettant en place des stratégies de mobilisation des recettes. De plus, nous avons renforcé les contrôles douaniers afin d’intensifier la lutte contre la fraude et les trafics illicites. En effet, la Direction Générale des Douanes et des Droits Indirects a réalisé au cours de cette année de nombreuses saisies de stupéfiants et de substances psychotropes, constituant une menace sérieuse pour la santé publique et la sécurité nationale. En novembre 2024, une saisie record de 1561 tablettes de cannabis, pour un poids total de plus de 1,5 tonne, une saisie importante a été effectuée à bord d’un bateau en provenance du Togo. En matière de modernisation de notre administration, et sous la haute supervision de Monsieur le ministre de l’Économie et des Participations, nous avons acquis et inauguré deux scanners de nouvelle génération pour l’aéroport de Libreville afin d’améliorer les contrôles et la sécurité aux frontières. Par ailleurs, j’ai intensifié les échanges avec les acteurs portuaires et les opérateurs économiques en vue d’optimiser les procédures de dédouanement et de faciliter les flux commerciaux. Enfin, les Douanes gabonaises ont renoué avec les grandes rencontres internationales, notamment celles organisées par l’Organisation mondiale des Douanes (OMD).

 

« L’arrivée d’un pouvoir militaire à la tête du pays a freiné certaines mauvaises pratiques. »

 

Avec un objectif de recettes de 438 milliards de FCFA fixé à la Douane pour 2024, quelles sont les stratégies et méthodes déployées par vos services pour l’atteinte de cet objectif ?

 

Conformément à sa mission fiscale et à la feuille de route établie par les plus hautes autorités de notre pays, en tête desquelles le président de la Transition, président de la République, chef de l’État, Son Excellence le général de brigade Brice Clotaire Oligui Nguema, la DGDDI s’emploie à déployer une stratégie managériale efficace pour mobiliser les recettes douanières et garantir des résultats en constante progression. Concernant l’objectif de recettes qui nous a été assignés pour l’exercice 2024, je tiens tout d’abord  à souligner que l’adminsitration des Douanes est largement au- dessus des objectifs qui lui ont été assignés mensuellement. Au troisième trimestre, les performances cumulées ont atteint 134,273 milliards de Francs CFA, générant un excédent de 24,828 milliards de Francs CFA par rapport aux prévisions, soit un taux de réalisation de 123 %. Le mois de septembre a établi un record avec un montant de 52,212 milliards de Francs CFA, témoignant de l’efficacité et de la rigueur des équipes dans l’atteinte de nos objectifs en cette période charnière. 

Cette progression s’explique par plusieurs stratégies qui ont été mises en œuvre ou renforcées avec l’appui du pouvoir militaire arrivé à la tête de notre pays le 30 août 2023. Ce dernier a non seulement freiné certaines mauvaises pratiques, mais nous a aussi donné carte blanche pour exercer nos missions sans subir des pressions ni intimidations quelconques, conformément à l’esprit de l’article 3 du Code des Douanes CEMAC, qui dispose que : « Les lois et règlements douaniers doivent être appliqués sans égard à la qualité des personnes ». Parmi ces stratégies, nous pouvons souligner le suivi des moratoires sur les dettes historiques, notamment celles liées aux importations de produits pétroliers, le recouvrement des droits de sortie des minerais de manganèse exportés et vendus à l’étranger, le renforcement de la police de manifeste pour récupérer des droits et taxes tout en réduisant considérablement les sorties frauduleuses de marchandises ainsi que le déploiement du SYDONIAWorld dans la région douanière d’Oyem, générant des résultats records, avec une hausse des réalisations de plus de 280 % par rapport à l’année 2023. S’y ajoutent la vulgarisation du guide d’éthique et de déontologie pour sensibiliser les agents à adopter une ligne de conduite rigoureuse et intègre, le renforcement des procédures contentieuses pour favoriser les clôtures administratives des dossiers contentieux pendants, assurant ainsi le respect de la loi et la collecte des recettes en suspens, l’amélioration du soutien à l’action en recouvrement des recettes, favorisée par une collaboration franche et sereine avec l’administration sœur du Trésor Public. Enfin, nous pouvons citer la reprise des répartitions contentieuses qui n’avaient plus eu lieu depuis 2009 avec la signature d’un arrêté à cet effet le 31 octobre 2023, grâce à la volonté des nouvelles autorités, le maintien d’un dialogue permanent avec les syndicats qui nous épargne les grèves récurrentes du passé, sachant que celles-ci avaient des répercussions négatives sur les recettes, le renforcement des capacités de nos inspecteurs sur des questions basiques de la vérification telles que la valeur, le tarif ou encore l’origine, avec nos formateurs maison mais aussi à travers l’assistance technique des institutions internationales (OMD, FMI, CNUCED…). Á toutes ces stratégies s’ajoute notre capacité à coordonner de façon simultanée les services de surveillance et les trois niveaux de contrôle (immédiat, différé et a posteriori) grâce à l’expérience acquise au sein des services de surveillance et des opérations commerciales. 

 

Vous inscrivez les Douanes gabonaises dans un processus de digitalisation continue à travers la dématérialisation des procédures douanières et la célérité de sa procédure de dédouanement, mais aussi, sa visibilité à l’échelle nationale et internationale. Quelle stratégie allez-vous élaborer pour atteindre ces 3 objectifs et ambitions ? 

 

Les Douanes gabonaises ont entrepris de moderniser et d’accélérer les procédures de dédouanement grâce au SYDONIAWorld, un logiciel informatisé de gestion douanière, qui a remplacé SYDONIA Plus en 2020. SYDONIAWorld fonctionne via internet et permet d’optimiser les échanges d’informations, d’améliorer les recettes douanières et de renforcer les contrôles. Á ce jour, SYDONIAWorld est désormais opérationnel sur tous les bureaux centraux des douanes que compte la DGDDI à travers le Gabon. Les agents des douanes peuvent désormais traiter les déclarations de manière plus efficace sur toute l’étendue du territoire, tandis que les opérateurs économiques bénéficient d’une plus grande visibilité et prévisibilité dans leurs démarches. Nous allons résolument vers une Douane gabonaise plus performante et adaptée aux standards internationaux. Depuis 2022, le système SYDONIAWorld est en interfaçage avec le Système informatisé de l’analyse de risque (SIAR) lancé par l’implémentation des critères de sélectivité.

Les critères de sélectivité sont dynamiques et évoluent en fonction des renseignements contenus dans des rapports de visite insérés dans le système informatique. Le SIAR nous permet donc d’accroître la célérité des opérations en ciblant les transactions à risques élevés dans le but de sécuriser les recettes dans un environnement qui nécessite de concilier la facilitation, le contrôle et la sécurisation de la chaîne logistique : «Contrôler moins pour contrôler mieux.» Qu’à cela ne tienne, nous entendons, aux côtés des autres partenaires, œuvrer pour la mise en place d’un guichet unique portuaire en vue d’atteindre une dématérialisation intégrale, car la facilitation et la fluidification des procédures douanières passent nécessairement par cela. Par ailleurs, une réflexion est en cours par les équipes techniques de l’administration des Douanes sur la mise en place du paiement électronique. Il faciliterait la tâche aux contribuables dans la mesure où ils pourront effectuer leurs paiements n’importe où, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, et il garantirait à l’État un recouvrement immédiat des recettes et un rapprochement efficace, sans écart. Enfin, la visibilité des Douanes gabonaises est également renforcée à travers notre site internet officiel (1) qui informe les usagers sur les actualités et les procédures douanières, ainsi que par des campagnes sur les réseaux sociaux pour sensibiliser le public. 

 

Au sein des Douanes gabonaises vous avez accueilli, le 15 avril dernier, une délégation venant des Douanes du Niger. Quelle expertise et savoir-faire gabonais avez-vous pu transmettre à vos homologues sahéliens durant leur séjour à Libreville ? 

 

Effectivement, douze agents des Douanes du Niger ont effectué une mission d’apprentissage au Gabon, du 14 au 18 avril 2024 pour bénéficier de notre expérience sur le traitement douanier des produits pétroliers destinés à l’export. Ce programme portait sur les méthodes de mesurage statique et dynamique utilisées pour quantifier les produits, via les bacs de stockage et les bancs de comptage. Les visiteurs ont exploré le terminal de Cap Lopez et la raffinerie SOGARA. En la matière, les Douanes gabonaises constituent aujourd’hui une référence pour la transmission de ce savoir-faire. 

 

Vous avez évoqué tantôt le fait que les Douanes gabonaises ont fait l’acquisition de scanners à rayon X. Quels sont les atouts en termes de valeur ajoutée de ces nouveaux outils de production? Comment vont-ils contribuer à renforcer la sécurité des Gabonais ?

 

Les deux nouveaux scanners à bagages déployés à l’aéroport de Libreville apportent une multitude d’atouts qui renforcent la sécurité et l’efficacité des opérations aéroportuaires. Tout d’abord, ces scanners offrent une sécurité renforcée. Grâce à une technologie de pointe, ils permettent une détection plus précise des objets dangereux, prohibés ou taxables. En identifiant plus efficacement les marchandises à risque, ces équipements contribuent à bloquer l’entrée de produits illicites ou susceptibles de compromettre la sécurité du territoire. De plus, la détection des produits soumis à des droits de douane assure une meilleure collecte des recettes doua-nières, ce qui contribue directement aux ressources de l’État. En matière d’efficacité opérationnelle, la technologie avancée de ces équipements accélère le traitement des bagages, réduisant les temps d’attente et optimisant le flux de passagers, surtout en période de forte affluence. Cela améliore l’expérience des voyageurs et renforce la réputation de l’aéroport. L’adaptabilité réglementaire est un autre point fort. L’utilisation de ces technologies modernes permet à l’aéroport de respecter les normes de sécurité internationales, renforçant ainsi la confiance des compagnies aériennes et des passagers dans les procédures de contrôle. L’arrivée de ces équipements a également permis de renforcer les compétences de 27 agents de surveillance dans l’analyse d’image et l’exploitation des dispositifs. Cela garantit une utilisation efficace et sécurisée de ces nouveaux outils. Enfin, sur le plan juridique, la mise en place de l’arrêté n°071.24/MEP du 10 octobre 2024 établit un cadre juridique clair pour encadrer les opérations de scanning, essentiel avant le lancement des activités de contrôle. De 2024 à 2026, les recettes douanières progresseraient de 13 %, passant de 438 milliards de FCFA en 2024 à 496 milliards de FCFA à l’horizon 2026. 

 

Quelles sont les raisons essentielles qui expliqueraient cette tendance haussière des recettes à venir ?

 

Hormis les stratégies de mobilisation mentionnées précédemment, la tendance haussière prévue à l’horizon 2026 s’explique principalement par des facteurs exogènes au service des douanes. Parmi ces facteurs, plusieurs éléments clés méritent d’être soulignés. Tout d’abord, la croissance économique mondiale joue un rôle crucial. La dynamique actuelle de la croissance à l’échelle internationale stimule les échanges commerciaux, entraînant une augmentation significative du volume des importations de biens de consommation, d’équipements et de matières premières. Cette expansion des échanges a un impact positif sur les recettes douanières, contribuant ainsi à la tendance haussière anticipée. Ensuite, l’impact de l’inflation mondiale ne peut être sous-estimé. L’inflation sur les marchés internationaux entraîne une hausse des prix des matières premières et des produits manufacturés. Par conséquent, cette augmentation se traduit par une élévation de la valeur totale des importations, ce qui, à son tour, accroît les droits de douane qui en découlent. La rationalisation des exonérations douanières est un autre facteur déterminant. En révisant et en rationalisant ces exonérations, il est possible d’élargir l’assiette taxable tout en améliorant l’efficacité et la transparence des opérations douanières. Ces mesures sont essentielles pour générer une augmentation significative des recettes. Enfin, un certain nombre de mesures gouvernementales jouent également un rôle clé dans l’augmentation des recettes douanières. Parmi celles-ci nous pouvons citer les projets d’investissement sur le plan national, le report à 10 ans de l’âge maximal d’importation des véhicules d’occasion, la révision de certaines dispositions tarifaires, les mesures relatives aux droits d’accise, etc…

En conclusion, ces facteurs combinés créent un environnement propice à une augmentation continue des recettes, renforçant ainsi la capacité de l’administration douanière à jouer un rôle essentiel dans le développement économique national. Á cela s’ajoute, un climat des affaires rendu favorable pour les investisseurs suite au coup de libération.

 

Propos recueillis par Serge-Henri Malet 

(1) www.douanes.ga